par Malou Haine, publié le 04/10/2017

Le discours sous cette vedette d’adresse concerne le hautbois ancien, celui de l’époque de Mersenne (1636), que Diderot compile, tandis que le hautbois moderne fait l’objet de l’entrée suivante, Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b).

Diderot signale qu’il y a deux sortes de hautbois anciens, mais il ne décrit pas le hautbois de Poitou et ne s’attarde qu’à celui qu’on nomme simplement hautbois. Les descriptions formelles du dessus de hautbois, de sa taille et de sa basse sont accompagnées de mesures exactes de leur longueur respective, ainsi que la distance entre les trous de doigts. Sont décrits avec quelques détails : la manière de creuser les trous, la fixation des clefs sur la taille et la basse, l’emplacement de l’anche, le rôle du canal sur la basse. L’auteur précise aussi l’étendue de l’instrument et la manière d’obtenir d’autres sons. Mais ce texte est difficile à comprendre en l’absence des illustrations qui ne seront, par ailleurs, par reprises comme telles dans les planches.

Auteur

Diderot signe cet article, tout comme la majorité de ceux relatifs à la lutherie et aux instruments de musique jusqu’au huitième volume. Jaucourt commence à en rédiger certains à partir du sixième volume et amplifie son implication à partir du neuvième volume.

→ voir Dossier transversal Lutherie et instruments de musique dans l'Encyclopédie.

Enjeu de l’article

L’enjeu de cet article est défini à la première phrase : « Nous distinguerons le hautbois en ancien & en moderne ». Ces instruments de périodes historiques différentes sont discutés successivement sous la vedette d’adresse (étudiée dans ce dossier-ci) et la vedette d’entrée (→ voir dossier critique de Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b).

C’est donc l’instrument de l’époque antérieure à celle de l’Encyclopédie qui est décrit ici. Marin Mersenne dans son Harmonie universelle (1636-1637) illustrait déjà deux formes de hautbois différents. Il les nommait respectivement grands Haut-bois et Haut-bois (→ voir ci-dessous Rédaction et sources compilées), mais tous les deux avaient pour caractéristique commune d’être construits en une seule pièce de bois.

Antérieurement à Mersenne, les termes de bombarde et de chalemie étaient utilisés pour ce type d’instrument ( Wright, 1941 , p. 20 et 28). Mais ils sont la traduction de Praetorius Syntagma musicum (t. 2, 1619). Actuellement, on est revenu à ces termes : chalemie (pour le dessus) et bombarde (pour la taille et la basse).

Durant le dernier tiers du XVIIe siècle, ces instruments subissent d’importantes transformations en France grâce à la famille des Hotteterre, dont les membres sont à la fois compositeurs, interprètes et facteurs d’instruments. → voir dossier critique Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b).

Illustrations sonore et photographique

Comme il n’existe pas d’instrument français de ce type aujourd’hui conservé, nous proposons une bombarde alto anonyme (Allemagne) et une chalemie de Rodriguez Melchor, Madrid, début XVIIe siècle.

Bombarde alto (anonyme, Allemagne) et chalemie (Rodriguez Melchor, Madrid, début XVIIe siècle (Bruxelles, MIM, inv. 2325, 2323)

Cette illustration sonore fait entendre une famille de hautbois anciens (copies d'instruments) : une chalemie, deux bombardes alto, une bombarde ténor ; ainsi qu’une guiterne et un tambour à baguettes. L’ensemble Le Banquet du Roy interprète une basse-danse, La Brosse, de Pierre Attaignant.

Lexique technique

Rappelons que les termes de hautbois, taille de hautbois et basse de hautbois utilisés par Diderot pour désigner les trois membres de la famille des hautbois fabriqués en une seule pièce sont aujourd’hui mentionnés par leur terme plus ancien : chalemie, bombarde alto et bombarde ténor. A l’époque de l’Encyclopédie, avait-on déjà oublié ces appellations du siècle passé ? L’article Bombarde , (Luth.) (t. II, 1752, p. 315b–316a) renvoie à un jeu d’anche de l’orgue, mais pas à l’instrument en bois. Il n’y a pas d’entrée au terme chalemie.

Remarquons qu’un même terme technique est utilisé à l’époque pour des parties ou des pièces différentes ; inversement, une même pièce ou partie peut être désignée sous des termes différents. Ceci se constate non seulement d’un article à l’autre dans l’Encyclopédie, mais aussi parfois à l’intérieur d’un même article. Tenter d’établir un lexique technique uniforme pour la période est une entreprise complexe si le contexte de chaque terme employé n’est pas explicité.

→ voir les notes ponctuelles en marge de l’article.

  • Terme technique encore en usage actuellement avec le même sens : pirouette.
  • Termes techniques modifiés aujourd’hui : patte pour pavillon // boëtte pour capsule // boîte pour fontanelle // poche pour boîte // canal pour bocal (« bocal » est pourtant utilisé dans l’intitulé même de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767)).

Seul le terme pirouette est écrit en italique dans le texte, soulignant ainsi son sens spécifique.

Pour le détail de la pirouette sur laquelle est insérée l’anche double,voir l’illustration ci-dessus de la chalemie et de la bombarde.

De la bombarde alto anonyme illustrée ci-dessus, voici le détail de la fontanelle qui recouvre le mécanisme de la clef à double patte.

Gros plan sur la fontanelle de la bombarde illustrée plus haut.

Rédaction et source compilée

Diderot ne cite pas sa source, or ce texte est basé sur la description donnée par Marin Mersenne dans son Harmonie universelle , au Livre Cinquiesme des instrumens, Proposition XXXI « Expliquer la figure, l’estenduë, la tablature, l’accord & l’usage des grands Haut-bois » (t. 2, 1637, p. 295-297). Diderot suit assez fidèlement le texte princeps, plusieurs phrases sont même reprises textuellement sans modification, mais il supprime les numéros des figures, car il ne reprend pas celles-ci. Par ailleurs, les illustrations de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767) ne correspondent pas la proposition XXXI de Mersenne (voir ci-dessous).

La suppression des numéros des figures donne un indice de la fabrique de l’Encyclopédie : Diderot envisageait peut-être de fournir un dessin plus moderne que celui de Mersenne. Or, les illustrations de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767) (seconde suite Lutherie) — qui, rappelons-le, sont publiées en 1767, alors que le volume VIII du discours fait partie des volumes censurés, tous publiés en 1765, mais rédigés auparavant — représentent les trois membres de la famille du hautbois ancien (dessus, taille et basse, respectivement aux figures 4, 5 et 9) par des dessins sommaires et peu détaillés qui tiennent plus de l’esquisse que de dessins achevés : les fontanelles ne sont même pas ajourées ; les trous de doigt sont à peine visibles.

Il est dès lors quasi impossible de comprendre le discours de Diderot, alors que celui de Mersenne se réfère aux illustrations insérées dans son texte qui portent des caractères alphanumériques pour identifier les détails discutés. Les illustrations de l’ Harmonie universelle concernent non seulement le dessus, la taille et la basse de hautbois, mais aussi le détail d’une pirouette et la vue en coupe d’une fontanelle où la clef est fixée. Chaque trou de doigt y est numéroté (le plus aigu porte le numéro 1). Pour le dessus de hautbois, huit trous de doigts ; pour la taille de hautbois, sept trous de doigts dont le septième est couvert par une clef fixée sous une boette (boîte chez Diderot, et fontanelle selon notre terminologie moderne) ; pour la basse de hautbois, sept trous [sic] de doigts, trois clefs fixées sous une boette et une clef fixée sous une poche (boîte selon notre terminologie moderne).

Voici ci-dessous les grands Haut-bois représentés dans l’ Harmonie universelle , à la Proposition XXXI (t. 2, p. 295)

La taille et le dessus y sont illustrés.

Mersenne, Taille et dessus des grands Haut-bois

La basse est illustrée à la page 297 :

Mersenne, Basse des grands Haut-bois

Lorsqu’on compare ces dessins de Mersenne avec ceux de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767), on constate que les esquisses de hautbois sur cette planche sont basés sur les hautbois illustrés par Mersenne à la Proposition XXXIII « Expliquer encore les Haut-bois, avec les autres instrumens precedens, & les parties de Musique qu’ils peuvent exprimer » (p. 302-307). Le degré de précision et les formes de ces instruments rappellent les gravures correspondantes dans Syntagma musicum de Michael Praetorius (1619).

En effet, ces « Haut-bois » de Mersenne diffèrent des « grands Haut-bois » illustrés à la Proposition XXXI, même s’ils se construisent encore en une seule pièce de bois. Examinons le dessus de hautbois : sa perce est à présent plus étroite, ce qui lui donne une forme plus filiforme ; ses trous latéraux ne commencent pas immédiatement dans le haut de l’instrument, mais sont disposés plus bas ; leur diamètre est nettement plus étroit ; le pavillon est légèrement moins évasé ; il n’y a plus qu’un seul duo de trous de résonance. La numérotation des trous et des clefs commence ici par le trou le plus grave (no 1), alors qu’à la Proposition XXXI, la numérotation débute par le son le plus aigu. La basse de hautbois a bien cette fois six trous de doigts et quatre clefs.

Voici ci-dessous les haut-bois représentés dans Mersenne à la Proposition XXXIII (t. 2, p. 302)

N-0 = dessus de hautbois // I-M = taille de hautbois // A-w= contre-basse de hautbois

Mersenne, Dessus, taille et contrebasse de hautbois

Ces dessins-ci de Mersenne sont plus réalistes et ce sont probablement ceux-ci qui ont servi de base aux figures 4, 5 et 9 (dessus, taille et basse de hautbois) de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767) et dont les explications se résument laconiquement à une seule légende : « anciens hautbois ».

Déroulement de l’article

À part la phrase introductive, tout le texte est construit d’un seul tenant, sans aucune division en paragraphes. Si le texte de Mersenne se comprenait aisément grâce à un texte structuré et aux illustrations détaillées placées en vis-à-vis, celui de Diderot est incompréhensible puisqu’il se prive des dessins explicatifs du texte princeps.

Diderot ne signale pas que ces anciens hautbois sont construits en une seule pièce, caractéristique pourtant essentielle de ces anciens instruments qui se distinguent des hautbois de son époque (qu’il qualifie de « modernes » ) formés de plusieurs parties s’emboîtant les unes aux autres. Sa description porte sur le nombre de trous et de clefs, la manière de tailler les trous en biais, la position de l’anche sur la pirouette pour le dessus et la taille, l’utilité du « canal recourbé » pour la basse, la longueur respective des trois instruments. Tributaire de son texte princeps, Diderot ne réactualise pas les termes techniques utilisés par Mersenne : le canal sur lequel se fixe l’anche pour la basse est pourtant appelé bocal dans le titre même de la planche correspondante de l’Encyclopédie, nous l’avons dit.

Comme il s’en tient au texte princeps, Diderot ne signale ni le répertoire de l’instrument ni son usage, que ce soit au concert ou à l’Opéra. Il n’aborde pas non plus son timbre si particulier. Le philosophe n’est intéressé que par l’aspect mécanique. Il omet également de préciser que le terme « hautbois » peut aussi s’identifier au musicien qui en joue, alors que le Dictionnaire françois de Richelet (1680) l’indiquait déjà. Le Dictionnaire de l'Académie françoise mentionne cet emploi dans sa 3e édition (1740). Le Dictionnaire universel de Furetière (1690) précise aussi que l’instrument est « devenu depuis peu un instrument militaire » introduit dans les compagnies de mousquetaires.

Correspondances internes à l’Encyclopédie

Le fait que le renvoi aux planches ne mentionne ni le numéro de la planche concernée ni son intitulé ni les figures concernées constitue un indice de la fabrique de l’Encyclopédie : lors de la rédaction de cet article, les planches de lutherie n’étaient pas encore prêtes. Elles ne seront d’ailleurs publiées qu’en 1767 dans le tome V du Recueil de planches.

Il eût été utile de renvoyer à la Pl. XXII. TABLE DU RAPPORT DE L'ETENDUE DES VOIX Et des Instrumens de Musique comparés au Clavecin. | Lutherie. (t. V, 1767) car l’article aborde l’étendue de l’instrument, précise qu’il couvre quinze notes, mais il ne donne pas la note fondamentale ni pour le dessus de hautbois ni pour ses autres membres. Dans cette Pl. XXII. TABLE DU RAPPORT DE L'ETENDUE DES VOIX Et des Instrumens de Musique comparés au Clavecin. | Lutherie. (t. V, 1767), il n’y a qu’une seule ligne prévue pour le hautbois, manifestement réservée au hautbois moderne. Soulignons que cette planche est basée sur celle élaborée et publiée par Joseph Sauveur dans les Mémoires de l'Académie des sciences de l'année 1701 ( Joseph Sauveur, 1704 , p. 305).

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois (t. XIII, 1770) ne reprend aucune des informations du hautbois ancien.

L’ Encyclopédie d'Yverdon reprend verbatim le texte de Diderot sous Hautbois, anciens (t. XXII, 1773, p. 735a-736a). De même, l’entrée suivante reprend le texte de Hautbois, instrument de musique à vent & à anche (p. 736a-737b).

À l’inverse, les deux textes de Diderot se succèdent en un texte suivi dans l’Art du faiseur d'instrumens de musique, et lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (1785). Jacques Lacombe insère une seule notice intitulée Hautbois (p. 112b-114b) dans son onzième chapitre relatif aux « Instrumens à vent et à anche ». Son texte reprend verbatim l’article sur le hautbois ancien – à l’exception de la toute première phrase qui est supprimée (« Nous distinguerons le hautbois en ancien & en moderne ») – suivi immédiatement de celui du hautbois moderne. Il en a toutefois supprimé les renvois. Il n’y a pas de sous-titre entre ces deux textes, si ce n’est une phrase qui dirige vers la planche d’illustrations du tome 3 des gravures, planche elle aussi reprise de la Lutherie de l’Encyclopédie. En l’absence d’une phrase de liaison claire entre les deux textes, le lecteur peut difficilement comprendre que l’auteur a décrit le hautbois ancien, puis le hautbois moderne. Il est curieux que ce même auteur n’ait point modulé quelque peu son texte, alors qu’en 1752 il avait consacré un article au Hautbois dans son Dictionnaire portatif des Beaux-Arts , où il parlait du timbre de l’instrument et signalait son rôle dans la symphonie (sa définition ne permet cependant pas de déterminer s’il parle du hautbois ancien ou moderne).

Il n’y a pas d’autres reprises de ces deux textes. Dans l’ Encyclopédie méthodique. Musique (1818), Framery donne une très brève définition du hautbois et renvoie au Dictionnaire des Arts & Métiers (comprenez l’Art du faiseur de Lacombe, 1785).

Bibliographie (sources secondaires, par ordre chronologique)

Rowland Wright, Dictionnaire des instruments de musique. Etude de lexicologie, Battley Brothers, Londres, 1941 .

Thurston Dart, « Musical Instruments in Diderot's Encyclopaedia » , The Galpin Society Journal , 6 (1953) , p. 109-111 [consulter] .

Eric Halfpenny, « The French Hautboy: A Technical Survey (Part I & II) » , The Galpin Society Journal , 6 & 7 (1953 & 1955) , p. 23-34; 50-59 [consulter] .

François Fleurot, Le hautbois dans la musique française 1650-1800, Picard, Paris, 1984 .

Jean Jeltsch, « Prudent à Paris : vie et carrière d’un maître faiseur d’instruments à vent » , Musique, Images, Instruments , 3 (1998) , p. 128-152 [consulter] .

Vincent Robin, « Hautbois und cromorne im Frankreich des 17. und 18. Jahrhunderts. Versuch einer terminologischen Bestimmung » , Basler Jahrbuch für Historische Musikpraxis : Französische Musik im europäischen Kontext , 28 (2004) , p. 23-36 [consulter] .

Bruce Haynes, The Eloquent Oboe. A History of the Hautboy from 1640 to 1760, Oxford University Press, Oxford, 2001 (2e éd. 2007) .

projet ENCCRE ©2017