par Malou Haine, publié le 02/10/2017

L’article est constitué de trois parties : une définition générique accompagnée d’une explication acoustique, une description spécifique d’une anche dans un tuyau d’orgue et, pour les autres sortes d’anches, un simple renvoi vers les instruments qui en sont munis (seuls deux d’entre eux sont cités).

Les deux premières parties forment un seul et unique paragraphe. Toutefois la section relative aux anches d’orgue doit s’interpréter comme un article séparé dont la vedette d’entrée serait « Anches des orgues », d’autant que l’article Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b) comporte un renvoi vers cet article cible qui est inexistant en tant que tel, mais qui se trouve pourtant incorporé ici.

Auteurs

Si l’on se base sur le « Discours préliminaire » (t. I, 1751, p. xliv), on pourrait attribuer la plupart des articles de « Lutherie en général » à Goussier.

Cette identification est ici renforcée par le fait que Louis Jacques Goussier est également le dessinateur de la Pl. IX Lutherie, Suite de l'Orgue et de ses Jeux. (t. V, 1767), dont les figures 53 et 54 illustrent respectivement le « développement d’une anche » d’orgue et un « etampoir des anches », même si l’explication des détails ne correspond pas exactement à celle des figures illustrées.

Mais on pourrait tout aussi bien considérer Diderot comme l’auteur de cet article-ci en se basant sur la similitude des explications relatives aux vibrations de la colonne d’air (→ voir ci-après : Rédaction et sources compilées). En fait, les deux parties de cet article pourraient être de mains différentes : Diderot pour la partie générale et acoustique, Goussier pour la partie sur les anches des tuyaux d’orgue.

Enjeu de l’article

Cet article aurait pu servir d’article de tête (ou d’article générique) pour tous les instruments à vent munis d’une anche. Or ce n’est pas le cas. À ce titre, on peut parler d’un enjeu manqué.

Si les six premières lignes peuvent en effet concerner n’importe quel instrument à vent muni d’une anche, le reste de l’article traite essentiellement de l’anche d’un tuyau d’orgue, dont le jeu de trompette est pris pour exemple. La matière de l’anche, sa forme et les pièces qui en constituent le fonctionnement sont décrites en parallèle avec la Pl. IX Lutherie, Suite de l'Orgue et de ses Jeux. (t. V, 1767) et non pas avec la Pl. VIII. Lutherie, Suite des Instruments à vent. (t. V, 1767) où se trouve illustrée une anche de hautbois (celle-ci ne porte aucune numérotation est n’est donc pas reprise parmi les explications de cette planche).

L’article ne mentionne pas les deux autres types d’anches dont sont munis les instruments à vent, ce que notre terminologie moderne distingue par anche simple (type clarinette) et anche double (type hautbois). L’absence de référence à l’anche simple de la clarinette s’explique par le fait que l’instrument est relativement nouveau à l’époque. → Voir Dossier critique de CLARINETTE , (Luth.) (t. III, 1753, p. 505b).

Au volume IV (1754), l’Encyclopédie percevra pourtant bien la différence entre ces deux types d’anches à l’article CORNEMUSE , ( Lutherie & Musique. ) (t. IV, 1754, p. 251b–252a):

Il y a de ces anches de plusieurs sortes. La plus simple a (Planche VI de Luth., figures isolées dans le bas de la planche, à droite) est un chalumeau ; l’autre b est un roseau.

La Pl. VI Lutherie, Instruments à vent. Musette. Cornemuse. (t. V, 1767) montre également les anches (doubles) fixées sur le bourdon de la musette (fig. 3, E). Mais les explications se limitent aux légendes succinctes des figures et ne fournissent pas de texte pour leurs détails. Nous sommes donc privés de leur terminologie.

L’article Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b) mentionne l’anche dans son désignant et signale que celle-ci est composée de « deux lames de roseau ou cannes ». L’article CLARINETTE , (Luth.) (t. III, 1753, p. 505b) n’en parle pas. → Voir les dossiers critiques de ces deux instruments.

Lexique technique

Remarquons qu’un même terme technique est utilisé à l’époque pour des parties ou des pièces différentes ; inversement, une même pièce ou partie peut être désignée sous des termes différents. Ceci se constate non seulement d’un article à l’autre dans l’Encyclopédie, mais aussi parfois à l’intérieur d’un même article. Tenter d’établir un lexique technique uniforme pour la période est une entreprise complexe si le contexte de chaque terme employé n’est pas explicité.

→ voir les notes ponctuelles résumées ci-après.

Termes techniques encore en usage actuellement avec le même sens : anche

Termes techniques de l’époque modifiés aujourd’hui : canne pour roseau // noix pour noyau

Orthographe différente : léton pour laiton.

Correspondances internes à l’Encyclopédie

L’indication de renvoi « voy. Instrument de musique » (VIII, 803b-804a) laisse croire qu’une catégorie d’instrument à vent à anche sera développée dans cet article, ou qu’elle sera au moins citée. Or ce n’est pas le cas. Parmi les subdivisions des instruments à vent, les instruments à anche n’ont pas de place. Seules deux catégories sont présentes : d’une part, ceux « que l’on fait parler avec la bouche » tels les flûtes, trompettes, hautbois, bassons, serpents et, d’autre part, ceux qui utilisent « des soufflets », tels les musettes, chalemies ou loures, et l’orgue. Cette absence s’explique par le texte de base dont se servira Diderot pour rédiger son article, à savoir le texte du Dictionnaire de musique de Brossard. → Voir Dossier critique de Instumens , (Musiq. & Luth.) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a).

Toutefois, l’indication du renvoi dans ce premier volume (1751) témoigne de la perception de son auteur d’une catégorie spécifique, celle des instruments à vent à anche, et sans doute de son intention d’insérer cette catégorie dans l’article générique. → Dossier transversal Typologie et classification des instruments de musique dans l’Encyclopédie.

Correspondances internes non signalées

Six renvois auraient pu être signalés, mais tous concernent des articles ou des planches qui paraissent après le premier volume. L’auteur de cet article-ci ne dispose certainement pas de l’ensemble de la nomenclature à venir ni du contenu des futures planches.

Renvois aux articles

1. Des renvois vers d’autres instruments munis d’une anche et présents dans l’Encyclopédie auraient pu être mentionnés : Clarinette, Cornemuse, Musette, instruments qui sont munis d’une anche, mais sans doute ces termes sont-ils implicites dans le « &c. ».

2. Il n’y a pas de renvoi à l’article Grattoir à anches , (Lutherie.) (t. VII, 1757, p. 865a) ni à son illustration à la figure 12 de la Pl. X. bis. Lutherie, Tour en l'air et à pointes à l'usage des faiseurs d'Instrumens à vent, Flutes, Haut bois, Musettes &c. (t. V, 1767) ; or c’est l’outil sur lequel le facteur ratisse les lames de roseau. Cet article pointe vers un article cible inexistant en tant que tel dans la nomenclature : « Voyez Anches des instruments à vent », ce qui témoigne de la perception de leur différence par rapport aux anches de l’orgue.

3. Il n’y a pas non plus de renvoi à l’article ORGUE , (Instrument à vent.) (t. XI, 1765, p. 634a–640b) qui comprend un sous-titre, De la fabrique des jeux d’anches (p. 638b-639a), développé en plusieurs paragraphes qui apportent un complément d’information sur les tuyaux à anches quant à leur forme, leur composition et leur fabrication.

Renvois aux planches

4. Plusieurs renvois à des figures de planches auraient également pu être signalés. Dans le bas à droite de la Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767) figure une anche de hautbois non numérotée. Aux figures 4, 5 et 9 se trouve une anche placée respectivement sur trois membres de la famille des anciens hautbois : un dessus, une taille et une basse de hautbois. De plus, un petit dessin placé dans le coin droit en bas de la planche, sans caractère alphanumérique pour l’identifier, illustre une anche double dans son logement. Aucune des explications de cette planche ne mentionne le terme anche.

5. La figure GH de la Pl. VIII. Lutherie, Suite des Instruments à vent. (t. V, 1767)illustre le détail agrandi d’une anche de hautbois placée dans son logement. Elle se trouve en vis-à-vis d’un hautbois entier (fig. 11) et d’un autre en coupe (fig. 12). Les explications n’en fournissent aucune légende. Cette même planche représente également une clarinette aux figures 16 à 19 : instrument en entier et ses parties composantes. La figure 19 montre le bec de la clarinette, mais ce dernier est dépourvu de son anche (simple). Il en va de même pour le dessin du chalumeau (fig. 20 à 22).

6. La figure 41 de la Pl. IX. Lutherie, Suite des Instruments à vent. (t. V, 1767)montre un basson muni de son anche double, mais la figure 50, intitulée « anche de basson » donne à voir un agrandissement de cette anche dont les deux lamelles de roseau auraient dû être représentées plus aplaties.

Rédaction et source(s) compilée(s)

Le texte de cet article n’est basé sur aucun des dictionnaires de l’époque qui définissent le terme anche : ni le Dictionnaire universel de Furetière (1690) ni le Dictionnaire de Trévoux (1721 ; reprise du texte de Furetière) ni le Dictionnaire de l’Académie françoise (1740), même si ces dictionnaires distinguent les anches d’un orgue et celles des autres instruments à vent.

Dans la Cyclopædia (1728), Chambers définit REED comme une ancienne mesure juive ; et CANE or CANNA comme une mesure italienne ou du sud de la France. Il n’y a donc pas de définition en relation avec les instruments de musique.

Dans le premier des Mémoires sur différens sujets de mathématiques (1748) qui concerne les Principes généraux de la Science du Son, Diderot reprend les théories de Leonhard Euler, synthétise les explications de Fontenelle et celles de Joseph Sauveur. Il examine la manière dont les sons sont produits dans les instruments à cordes et dans les instruments à vent. Parmi ceux-ci, il examine aussi bien les flûtes à bec que les tuyaux d’orgue, qu’ils soient à bouche ou à anche. Diderot y donne une explication assez semblable à celle du présent article Anche concernant les vibrations de la quantité d’air contenue dans un tuyau.

Métamorphoses de l’Encyclopédie et autres ouvrages d’époque

Le Notionaire de Garsault (1761, p. 627) donne une description beaucoup plus claire et précise de la manière dont on fabrique une anche. Il illustre la différence entre une anche de hautbois et une anche de basson. Une différence est à noter entre la figure d’une anche de hautbois dans Garsault et dans l’Encyclopédie : la première est montée sur un tube, tandis que la seconde n’a pas de tube.

Sous la rubrique « Faiseur d’instrumens à vent », le Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de Macquer (t. 1, 1767) signale l’apparition, depuis quelques années, des clarinettes « qui ont beaucoup pris à Paris ». Il décrit un instrument à quatre clefs et perçoit bien la différence de son anche par rapport à celle du hautbois ou du basson.

Le Grand Vocabulaire françois (t.  2, 1767) réserve deux entrées distinctes à l’anche des hautbois et bassons, d’un côté, et à celle des orgues, de l’autre. Il rectifie donc l’ambigüité de l’article de l’Encyclopédie.

L’ Encyclopédie d'Yverdon (t. 2, 1770, p. 575) reproduit verbatim le texte de l’Encyclopédie.

Dans l’Art du faiseur dinstrumens de musique, et Lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785, p. 112), Lacombe reprend verbatim le texte de l’anche comme introduction à son onzième chapitre intitulé « Instrumens à vent et à anche » : il en fait donc un article de tête. Lacombe a donc tiré parti de cette catégorisation pour rassembler les instruments de ce type sous une catégorie spécifique.

On constate donc ainsi aisément les ouvrages postérieurs à l’Encyclopédie qui copient servilement sa définition et ceux qui sont soucieux de la nuancer, voir même de la modifier.

Bibliographie (sources secondaires)

Alain Cernuschi, Penser la musique dans l'"Encyclopédie" : étude sur les enjeux de la musicographie des Lumières et sur ses liens avec l'encyclopédisme, H. Champion, Paris, 2000 [Alain Cernuschi prend l’article ANCHE , en Lutherie (t. I, 1751, p. 439a) comme exemple d’un renvoi dont la cible n’apporte pas les éléments d’information attendus. ( Cernuschi, 2000 , p. 368).]

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