par Malou Haine, Marie Leca-Tsiomis, publié le 04/10/2017

Ce court article fournit des exemples lexicaux des deux significations du terme faiseur : quatre exemples d’emploi pour la première signification, deux pour la seconde.

Mais des enjeux subtils se cachent sous les exemples anodins qui ne sont décelables qu’à l’examen des sources compilées mises en parallèle avec d’autres emplois du terme faiseur au sein de l’Encyclopédie.

Auteur

L’article, marqué de l’étoile, appartient aux nombreux articles consacrés à définir des mots de la langue française, articles que, sous le désignant « grammaire » ou ses variantes orthographiques (→ voir Dossier transversal Les deux désignants "Grammaire" dans l'Encyclopédie), Diderot fournit, à partir du volume II et surtout du volume III, à l’Encyclopédie.

Domaine

Le désignant Grammaire couvre deux significations. Il est utilisé ici comme désignant indexant les articles consacrés à la langue courante et définissant le mot concerné.

→ voir le Dossier transversal Les deux désignants "Grammaire" dans l'Encyclopédie.

Enjeux

Cet article émane en grande partie d’une écriture « réactive » très souvent observée chez Diderot. La réaction est ici commandée par la lecture de la définition « source », celle du Dictionnaire de Trévoux , et elle a tous les caractères de l’emportement qui saisit le Philosophe et le conduit, de fait, à mettre en cause toute une tradition définitionnelle qui remontait à la fin du XVIIe siècle. Car il s’agit, en fait, de réfuter ou de refuser l’acception « par mépris » de l’artiste, du poète, nommé « faiseur de vers ». Ainsi, à sa façon, ce minuscule article participe de l’ambition diderotienne de « changer la façon commune de penser », tout au moins celle consignée durant des décennies dans les dictionnaires français. Ajoutons qu’il nous permet de suivre Diderot à l’œuvre, dans son travail de compilation critique : son Dictionnaire de Trévoux sous les yeux, il en lit l’article, réagissant en écrivant, en même temps, le sien.

Rédaction et sources compilées

Ici comme ailleurs pour ce type d’articles, c’est le Dictionnaire de Trévoux qui sert de point de départ à Diderot.

Le terme « faiseur », dans la première édition du Dictionnaire universel de Furetière (1690), possédait déjà deux acceptions distinctes.

FAISEUR, euse, adj. Artisan qui fait quelque ouvrage qui ne donne point de nom particulier à sa vacation. Un faiseur de clavessins, d’instruments de Geometrie, des collets de la bonne faiseuse, des faiseurs d’affaires.
Faiseur, se dit par mépris de ceux qui font mal quelque chose, ou qui n’est point estimée. Un faiseur de vers, un faiseur de livres, faiseur d’almanachs, un faiseur de contes. On a dit un faiseur d’oreilles, un faiseur d’enfans.

Il en allait de même, d’ailleurs, dans la première édition, quatre ans plus tard, du Dictionnaire de l'Académie françoise (1694).

Faiseur. s. m. Ouvrier. Celuy qui fait quelque ouvrage. Faiseur de luts. faiseuse de colets. faiseur de malles. faiseur de clavessins. faiseuse de mouches. faiseur dalmanachs, cela est du bon faiseur, de la bonne faiseuse. Il ne se dit guere des Ouvriers ou artisans, dont la profession, l’art, le mestier a un nom particulier, comme Serrurier, Cordonnier, Esperonnier &c.
On dit par mespris, d’Un Autheur, que Cest un faiseur de livres ; & d’Un homme qui aime ordinairement à dire des contes, que Cest un faiseur de contes. Et on dit prov. que Les grands diseurs ne sont pas les grands faiseurs, pour dire, que Ceux qui se vantent le plus, qui promettent le plus, sont ordinairement ceux qui en font le moins.

Il était donc logique que le Dictionnaire de Trévoux (édition de 1752), descendant du Furetière, ait conservé la même organisation de l’article. On y lisait à FAISEUR deux entrées, comme chez Furetière.

La première, l’adresse FAISEUR, évoquait « celui ou celle qui fait quelque ouvrage qui ne donne point de nom particulier à sa vacation » et reprenait les exemples : « un faiseur de clavecins, d’instrumens de géométrie », puis « une bonne faiseuse » « un faiseur de liqueurs ».

La seconde acception, Faiseur, beaucoup plus longue, était consacrée à l’emploi péjoratif du mot, attesté lui aussi depuis Furetière : « Se dit par mépris de ceux qui font mal quelque chose ou qui n’est point estimée. Un faiseur de vers. Poëtaster ». Venait ensuite « faiseur de livres », « faiseur d’almanachs », « faiseur de contes ». Et le Trévoux ajoutait que, selon le Père Dominique Bouhours, « ce terme n’est bon, selon le génie de notre langue, que pour se moquer des ignorants qui font les habiles ».

Or, on sait que le Trévoux fut un instrument de travail de Diderot sur la critique duquel il construisit une bonne part de ses interventions encyclopédiques. Que fit-il donc ici de l’article source ?

Pour la première acception, Diderot en reprend deux des exemples (élargissant le sens de « faiseur » des clavecins aux instrumens de musique) ; et l’auteur anonyme de l’article Bas , (Bonneterie, & autres marchands, comme Peaussier, &c.) (t. II, 1752, p. 98a–113b) les enrichit par l’ajout de « faiseur de métier à bas » et « faiseur de bas au métier », distinguant ainsi utilement entre ces deux paronymes.

C’est la seconde acception, « par mépris », que Diderot commente, et avec emportement :

C’est ainsi que l’incapacité ou l’envie réussit à donner un air méchanique à la Poësie & à l’Art oratoire, & à avilir aux yeux des imbéciles, l’homme de génie qui s’en occupe.

Une telle interpellation de l’usage langagier est proche de celle que l’on a rencontrée dans l’article BASSESSE, abjection , (Gramm.) (t. II, 1752, p. 121b–122a), article portant lui aussi la marque de Diderot. L’intérêt de l’article, sinon sa raison d’être, est dans la véhémence avec laquelle Diderot s’en prend au mépris des poètes qu’il perçoit dans le  « Poëtaster » du Trévoux ; on note la violence des contrastes « imbécile »/« homme de génie », (souvenir ironique du « génie de notre langue » du père Bouhours ?). La défense des artistes, des créateurs est fréquente dans la « grammaire diderotienne » ; voir, par exemple l’article IMMORTALITÉ, IMMORTEL , (Gramm. & Métaphys.) (t. VIII, 1765, p. 576b–577a) ; elle est généralement commandée par la réaction aux formulations dépréciatives et satiriques à l’égard des auteurs et des gens de lettres très fréquemment enregistrées dans le Dictionnaire de Trévoux .

Sur l’ensemble de ces questions, voir Leca-Tsiomis, 1999, rééd. 2008 , partie III, « La grammaire philosophique ».

Lexique technique

Remarquons que faiseur d’instrumens de musique est le premier exemple — d’une suite de quatre — donné de l’emploi du terme faiseur. Placée ainsi en tête des exemples fournis, l’expression témoigne de son usage suffisamment répandu à l’époque pour qu’elle fasse écho à une réalité bien concrète.

La définition précise que le terme faiseur est toujours accompagné de « la sorte d’ouvrage » que l’ouvrier fabrique. Le substantif suivi de son complément d’instrumens de musique incite à croire que l’expression s’applique à n’importe quelle sorte d’instruments de musique. Ce n’est pourtant pas le cas à l’époque, car d’autres appellations circulent pour qualifier l’artisan qui fabrique tel ou tel instrument de musique en particulier. → Voir les diverses appellations exposées dans le Dossier critique (rubrique Lexicographie des métiers concernés) de l’aricle Facteur d’instrumens de Musique (t. VI, 1756, p. 360a) de Malou Haine.

Le moteur de recherche de l’ENCCRE ne recense l’occurrence du terme faiseur en rapport avec la fabrication d’instruments de musique que dans deux cas, celui du présent article et dans l’intitulé d’une des planches de la série Chaudronnier : Pl. IV. Chaudronnier Faiseur d'Instruments. (t. III, 1763).

Pour l’emploi des termes ouvrier, artiste et artisan adossés aux termes de faiseur ou facteur d’instruments de musique, → voir Dossier critique (rubrique Enjeux) de l’article Facteur d’instrumens de Musique (t. VI, 1756, p. 360a).

Correspondances internes à l’Encyclopédie

Il eût été utile de signaler le synonyme de faiseur d’instrumens et de renvoyer à l’article Facteur d’instrumens de Musique (t. VI, 1756, p. 360a).

Il va de soi que l’acception « faiseur » au sens « ouvrier » est répandue dans les articles du descripteur des Arts, dans ses explications des Planches (utiliser la fonction « Recherche » de l’ENCCRE).

Et, bien qu’ayant vertement critiqué l’emploi méprisant de « faiseur de vers. Poëtaster », Diderot n’ignore pas bien sûr l’usage péjoratif de « faiseur ». Ainsi opposant la grandeur du « beau » au peu de conséquences du « joli », il écrit « L’esprit est un faiseur de jolies choses ; mais c’est l’ame qui produit les grandes » à l’article Beau, Joli , (Gramm.) (t. II, 1752, p. 181a).

De même, dans l’article ECLECTISME , (Hist. de la Philosophie anc. & mod.) (t. V, 1755, p. 270a–293b) , il se moque du « faiseur de miracles ».

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois (t. X, 1770, p. 256-257) donne deux exemples lexicaux du terme FAISEUR, EUSE (le terme peut à présent se mettre au féminin) et reprend le premier exemple de l’Encyclopédie : « Un faiseur dinstrumens de musique. Une faiseuse de blondes ».

Le Dictionnaire de Trévoux de 1771 conserve son ancien article, mais y ajoute : « on ne dit point un faiseur de souliers mais on dit un faiseur de bas au métier », trace infime mais sûre de consultation de l’article encyclopédique !

L’ Encyclopédie d'Yverdon (t. XVIII, 1772, p. 278) reprend verbatim le texte de Diderot, à l’exception de deux éléments. Le renvoi est omis et l’ouverture de l’article « Dans notre langue » se transforme en « Dans la langue française ».

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