par Malou Haine, Christophe Corbier, publié le 05/10/2017

La syrinx est un instrument de musique, mais aucune donnée sur son aspect formel ni sur son usage ne sont abordés. L’article est traité du point de vue de la mythologie et de la littérature ancienne. Il explique l’origine du terme selon le récit mythologique transmis par Ovide dans ses Métamorphoses dont huit vers latin sont reproduits.

Auteur

Le chevalier Louis de Jaucourt est le principal collaborateur de l’Encyclopédie, avec plus de 17 000 articles.

Domaines

Trois domaines sont concernés, bien que deux désignants seulement soient mentionnés. À la littérature et la mythologie s’ajoute la lutherie. Cette dernière est absente, car aucune description formelle n’est donnée, ce qui est habituel sous la plume de Jaucourt lorsqu’il aborde d’autres instruments de musique de l’Antiquité accompagné du désignant littérature. Dans ces cas, l’encyclopédiste se sert des témoignages des auteurs anciens. Selon son sens premier, le mot littérature renvoie au savoir lettré, au fait d’avoir des lettres, autrement dit de connaître les textes anciens.

Enjeu de l’article

Le texte est traité du seul point de vue de la poésie latine, la source unique citée par Jaucourt étant Les Métamorphoses d’Ovide.

Aucune mention précise n’est faite des très nombreux textes grecs qui évoquent la syrinx (dont Iliade XVIII, 523-525 ; Platon, République, 399d, Théocrite, Idylles, V, Pollux, Onomasticon, IV, 69) ou le mythe de Syrinx (Longus, Daphnis et Chloé, II, 34). Jaucourt ne cite pas non plus la Bucolique de Virgile où Pan est tenu pour l’inventeur d’une flûte polycalame pour avoir réuni des fistulae les unes aux autres (Bucoliques, II, 31-36).

L’instrument est simplement associé par Jaucourt aux bergers, conformément à la tradition antique qui fait de Pan le dieu rustique par excellence, dont le culte est particulièrement important en Arcadie. L’auteur de l’article se contente de convoquer une source illustre, le livre I des Métamorphoses d’Ovide, sans aucun souci philologique, iconographique ni organologique, contrairement à certains articles rédigés par Diderot (voir notamment les articles CASTAGNETTES , ( Musiq. & Luth. ) (t. II, 1752, p. 748b–749a), CLOCHE , (Hist. anc. mod. Arts mechan. & Fond.) (t. III, 1753, p. 539a–543b) ou encore Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b). Jaucourt associe les termes grec de surinx et latin de calamus, lequel a donné le « chalumeau » français. Pour Jaucourt, la syrinx, composée de plusieurs tuyaux liés les uns aux autres par différents moyens (cordelette, cire), paraît analogue au chalumeau, instrument percé dans un seul roseau, que Diderot décrit à l’entrée CHALUMEAU , ( Musique & Lutherie. ) (t. III, 1753, p. 40a–b) d’après Pline l’Ancien.

Jaucourt rapporte le mythe étiologique de la syrinx d’après un récit « agréable » universellement connu et qui a été adapté par les poètes ( Lavocat, 2005 ) et au théâtre lyrique (Quinault et Lully, Isis, 3e acte). Il évite ainsi d’aborder le problème de l’origine historique et matérielle de la syrinx, que Mersenne avait analysée à sa manière dans son Harmonie universelle (t. 2, 1637, Livre Cinquiesme, proposition III : « Expliquer la figure, la matiere & la proportion de l’instrument que l’on attribuë à Pan, & son usage », p. 227-229) et que l’iconographie et la philologie ont éclairé au XXe siècle sans le résoudre totalement ( Haas, 1985 , p. 42-43).

Cet article de Jaucourt sur la syrinx diffère ainsi de celui qu’il a consacré à la FLÛTE , (Littér.) (t. VI, 1756, p. 892b–895a) dans lequel l’instrument est traité dans son sens générique, englobant toutes les sortes d’instruments à vent en roseau.

Lexique technique : syrinx – flûte de Pan – sifflet de Pan

Dans l’Encyclopédie, le terme syrinx (signifiant en grec ancien l’instrument de musique et tout type de tuyau) est réservé à l’instrument de la Grèce antique. Aujourd’hui il couvre un champ sémantique beaucoup plus large, puisqu’il s’utilise indifféremment comme synonyme de flûte de Pan, du moins dans le grand public, pour désigner cet instrument de musique populaire répandu dans tous les continents. Selon les pays, les formes et les matériaux varient, et il en existe de tailles diverses. Leurs noms vernaculaires circulent également en grand nombre.

L’Encyclopédie ne réserve pas d’entrée à flûte de Pan, et une recherche plein texte montre qu’elle ne la mentionne que deux fois, dans l’article Fistule ou Petite Flute , (Luth.) (t. VI, 1756, p. 831b) et dans celui de GIBECIERE , (Art méchan.) (t. VII, 1757, p. 657a) où le terme est utilisé au pluriel 1 . Elle différencie cependant cet instrument par une terminologie distincte selon qu’il est question de l’instrument de l’Antiquité (syrinx) — SYRINX , ( Littér. & Mythol. ) (t. XV, 1765, p. 774a) — ou de l’instrument aux mains des chaudronniers ambulants : Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a). Toutefois, si le terme syrinx désigne uniquement l’instrument ancien, le double désignant de sifflet de Pan laisse penser que cette expression recouvre à la fois l’instrument ancien et l’instrument moderne ; son champ sémantique est donc plus étendu que celui de syrinx.

Pour les autres synonymes de cet instrument, → voir le Dossier critique de Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) ; → voir aussi le Dossier critique CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b).

Dans la Grèce antique, il existe principalement deux types de syrinx : la syrinx polycalame faite de sept à huit tuyaux (parfois davantage jusqu’à treize) de roseaux assemblés les uns à côté des autres ; la syrinx monoxyle 2 dont les tuyaux sont forés dans une seule pièce de bois ou d’ivoire.

La disposition des tuyaux de la syrinx polycalame est variable, mais elle peut être ramenée à deux types principaux : la syrinx de forme carrée et la syrinx en forme d’aile.

Correspondances internes à l’Encyclopédie

Aucune correspondance interne n’est explicitée. Il n’y a pas de renvoi au dieu des bergers PAN , (Mythol.) (t. XI, 1765, p. 805b–806a), article non signé dans lequel l’origine de l’instrument n’est pas mentionnée.

Il n’y a pas non plus de renvoi à l’article anonyme Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) : cette absence nous semble volontaire, dans la mesure où le sifflet de Pan (ou sifflet de chaudronnier) n’a pour seule relation avec la syrinx antique que son apparence. Leurs sphères d’usage sont à l’antipode l’une de l’autre : d’un côté, les dieux de la mythologie ; de l’autre, les mains d’un chaudronnier.

Un renvoi aurait aussi été possible à la fig. 15 de la Pl. I. Lutherie, Instruments Anciens, et Etrangers, de differentes sortes. (t. V, 1767) 3 où est représenté le « sifflet de Pan » qui n’a droit qu’à cette brève identification dans les explications. Cette légende nous semble fautive dans la mesure où l’instrument figure parmi d’autres instruments de l’Antiquité et, à ce titre, aurait dû être identifié comme « syrinx » 4 . Cette absence de renvoi constitue un indice de la fabrique de l’Encyclopédie : cette planche a été conçue postérieurement à ou en tout cas indépendamment de la rédaction de l’article.

Rédaction et source(s) compilée(s)

Le texte ne provient pas des dictionnaires de langue de l’époque 5 , ni de l’ouvrage de Bernard de Montfaucon, L’Antiquité expliquée et représentée en figures (1719, t. 3, seconde partie, chapitre II, p. 342-344 sur les instruments à vent). La Cyclopædia de Chambers (1743) ne comprend ni le terme syrinx ni celui de Pan.

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois (t. XXVII, 1773) ne reprend pas la définition de l’Encyclopédie à l’entrée SYRINX, mais renvoie au mot PAN pour connaître l’histoire de la Naïade qui porte ce nom.

L’ Encyclopédie d'Yverdon (1775, t. XXXIX, p. 693a) reprend verbatim le texte et son double désignant, mais elle omet la marque de l’auteur, comme elle le pratique systématiquement pour les articles repris de l’édition parisienne. Même reprise à l’identique, mais avec la marque de Jaucourt, dans les rééditions italiennes de l’ Encyclopédie, édition de Lucques (1770, t. 15, p. 657b) et de l’ Encyclopédie, édition de Livourne (1775, t. 15, p. 742b-743a), sans adjonction de note, ainsi que dans l’édition Pellet (1779, t. 32, p. 292).

Dans le Supplément à l'Encyclopédie (1777, IV, p. 859a), Frédéric de Castillon réserve une entrée à SYRINGE qui décrit l’instrument avec plus de détails que l’article de l’Encyclopédie. Cet article est repris dans Encyclopédie méthodique. Antiquités (1792, t. 5, p. 527-528) avec la signature de Castillon. Une autre entrée, Syrinx, est consacrée à la nymphe d’Arcadie, mais ne décrit pas l’instrument.

Au chapitre IX qui regroupe les « instruments à tuyaux et à simple embouchure » dans l’Art du faiseur dinstrumens de musique, et lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785, p. 92), le premier instrument décrit par Lacombe est le sifflet de Pan ou syringe [sic]. Le texte reprend et complète le texte du Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) et non celui de SYRINX , ( Littér. & Mythol. ) (t. XV, 1765, p. 774a). → voir le Dossier critique de Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a). Lacombe gomme totalement la différenciation effectuée dans l’Encyclopédie entre l’instrument mythologique (syrinx) et l’instrument vulgus (sifflet de Pan), puisqu’il les associe l’un et l’autre dans une relation synonymique. Celle-ci est d’autant plus perceptible qu’il utilise un vocable issu du latin seringa. On sent ici pointer ce glissement lexical qui explique l’usage actuel des termes : flûte de Pan ou syrinx sont aujourd’hui utilisés presque indifféremment l’un pour l’autre.

Framery ne consacre pas d’entrée à Syrinx dans Encyclopédie méthodique. Musique , mais il parle de la fistula ou syrinx dans l’entrée dévolue à la Grèce (1791, t. I, p. 745, 1791), texte différent de celui de l’Encyclopédie.

Bibliographie (sources secondaires)

Charles Victor Daremberg et Edmond Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, Hachette, Paris, 1877-1918 (article « Syrinx » de Théodore Reinach, t. 4, 2e partie, p. 1596-1600).

Gerlinde Haas, Die Syrinx in der griechischen Bildkunst, Böhlhaus, Wien, 1985 .

Françoise Lavocat, Syrinx au bûcher, Droz, Genève, 2005 .


1 : "[...] Les gibecieres dont on se sert dans le Levant, sont composées de tuyaux de canne assembles ordinairement à double rang, assez semblables aux anciennes flûtes de Pan, ou, pour me servir d’une comparaison plus intelligible, aux sifflets de ces chauderonniers ambulans qui vont chercher de l’ouvrage de province en province. [...]"
2 : Le terme de syrinx monocalame est réservé à la flûte droite des textes grecs anciens.
3 : Cette planche fait partie de la seconde suite des planches de lutherie.
4 : Cette confusion dans les termes montre qu'au XVIIIe siècle on ne ne respectait déjà plus la stricte différence terminologique.
5 : Ouvrages consultés : Richelet (1680), Trévoux (1732), le Dictionnaire de l’Académie française (1740), Prévost (1750).
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