par Malou Haine, publié le 16/10/2017

La diversité des noms donnés au milieu du XVIIIe siècle à l’instrument de musique que nous appelons aujourd’hui guimbarde fait que l’Encyclopédie ne propose pas moins de trois entrées différentes pour cet instrument :

  • REBUBE , (Luth.) (t. XIII, 1765, p. 842b)
  • REBUTE , (instrument de Musique.) (t. XIII, 1765, p. 843a)
  • Trompe , (terme de Mercier.) (t. XVI, 1765, p. 693b).

Quant au terme guimbarde, il est absent de la nomenclature dans ce sens 1 , mais est cité dans les deux premiers articles ci-dessus, → voir Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.

Pour faciliter la lecture de l’exposé, nous retranscrivons ci-dessous les trois articles.

Rebube, Rebute et Trompe dans l'Encyclopédie.

Illustration sonore et visuelle

→ Voir l’illustration de l’instrument à la figure 27 de la planche Pl. II. Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, de Percussion. (t. V, 1767).

→ Voir le jeune garçon jouant de la guimbarde dans le tableau de Gaspard Gesly, La raccommodeuse de dentelles, XVIIIe siècle, Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie

Gaspard Gresly, La raccommodeuse de dentelles, XVIIIe siècle. (Portail Joconde)

→ Ecoutez Yann Falquet dans un solo de guimbarde .

Remarque préliminaire

Les encyclopédistes ont critiqué le Dictionnaire de Trévoux pour avoir multiplié, au sein de la nomenclature de leur dictionnaire, le nombre d’articles au moyen de mots-vedettes qui ne sont rien d’autre que des synonymes se résumant à des entrées-renvois ( Leca-Tsiomis, 1999, rééd. 2008 ). Dans le cas de ces trois articles, l’Encyclopédie utilise pourtant le même procédé que Trévoux, mais sans doute de manière non délibérée.

Auteur

L’article REBUBE , (Luth.) (t. XIII, 1765, p. 842b) est anonyme, tandis que les articles REBUTE , (instrument de Musique.) (t. XIII, 1765, p. 843a) et Trompe , (terme de Mercier.) (t. XVI, 1765, p. 693b) portent la marque de Jaucourt. Vu le grand nombre d’articles qu’il rédige, le chevalier n’a certainement pas eu conscience que ces deux termes décrivaient un même instrument : il n’y a pas de renvois entre eux ; de plus, leurs désignants sont différents (voir ci-dessous : Domaine et désignants).

Diderot signe un grand nombre d’articles relatifs à la lutherie et aux instruments de musique jusqu’au huitième volume. Louis de Jaucourt commence à en rédiger un certain nombre à partir du sixième volume et amplifie son implication à partir du neuvième volume.

Si l’on se base sur le « Discours préliminaire » (t. I, 1751, p. xliv), on pourrait attribuer la plupart des articles de « Lutherie en général » à Goussier. A-t-il rédigé le texte de REBUBE ?

→ Voir Dossier transversal Lutherie et instruments de musique dans l'Encyclopédie : rubrique Auteurs.

Rédaction et sources

Ni le texte de REBUBE ni celui de REBUTE ne semblent empruntés à une source précise. Certes, le texte de REBUTE est assez proche de celui de Trompe, mais a été rédigé avant ce dernier. Pour Trompe, Jaucourt s’est basé, tout en le modulant légèrement, sur le texte du Dictionnaire de Trévoux qui reste identique dans ses différentes éditions de 1738, 1743 et 1752. Notons toutefois une modification de taille dans l’appréciation du jeu : là où Jaucourt écrit « qu’on touche lestement avec les doigts », Trévoux avait indiqué : « qu’on remuë sans art avec les doigts ». Jaucourt ne reprend pas le jugement méprisant de Trévoux, mais au contraire souligne la dextérité du jeu.

Article TROMPE, Trévoux, 1721.

Domaine et désignants

Ces trois articles évoquent le même instrument, mais les différents désignants les situent dans deux domaines différents, au sens défini par l’ENCCRE : la luherie d'un côté, le domaine des marchands de l'autre.

  • Luth. pour REBUBE ;
  • instrument de musique pour REBUTE ;
  • terme de Mercier pour TROMPE.

1. Lutherie et instrument de musique

La majorité des instruments de musique répertoriés dans l’Encyclopédie ont pour désignant soit Lutherie soit Instrument de musique (dans diverses variantes abrégées) 2 .

Le terme lutherie est un néologisme qui apparaît pour la première fois en 1751 dans le « Discours préliminaire » (Enc., I, xliv). Il est abondamment utilisé à la fois comme désignant de plusieurs termes recensés et comme titre de domaine de 34 planches du cinquième volume du Recueil de Planches (1767). Il n’y a pourtant pas d’article « lutherie » dans la nomenclature de l’Encyclopédie. → Voir notre Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.

Le terme lutherie étant récent, on peut supposer que certains collaborateurs à l’ouvrage n’ont pas directement intégré ce nouveau terme et qu’ils continuent à utiliser l’intitulé instrument de musique pour leurs descriptions. À l’époque, ces deux termes sont donc synonymes et interchangeables, alors qu’aujourd’hui, celui de lutherie est réservé à la fabrication des instruments à cordes.

Cette variation dans l’emploi des désignants au sein de l’Encyclopédie est un indice de la fabrique de l’ouvrage. Des consignes strictes n’ont pas été données aux divers collaborateurs par les responsables éditoriaux. En corollaire, chaque collaborateur semble avoir eu la liberté d’assigner tel ou tel domaine aux articles qu’il traite. Mais la constatation va plus loin encore: Jaucourt qui est ici concerné pour deux articles n’utilise pas les désignants dans le but de relier un ensemble d’articles à un seul domaine, mais il les applique apparemment au cas par cas et selon des stratégies variables. A-t-il travaillé par domaine ou par ordre alphabétique les articles à « moudre » pour l’Encyclopédie ? La seconde hypothèse semblerait s’appliquer ici, d’autant que le désignant choisi par Jaucourt pour le troisième article, Trompe, est un hapax dans le domaine des instruments de musique : terme de Mercier.

2. Terme de Mercier

Une explication spécifique s’impose donc ici. Remarquons tout d’abord que la description fournie dans l’article ne laisse absolument pas entrevoir qu’il s’agit d’un instrument de musique ; elle est même assez incompréhensible pour un lecteur non averti, sauf à la rapprocher du contenu de REBUTE, article auquel Jaucourt ne renvoie pourtant pas, alors qu’il est l’auteur de ces deux textes quasi identiques.

La raison en est simple : à l’époque, cet objet, sous son appellation de trompe, n’est sans doute pas considéré comme un instrument de musique, car il n’est pas utilisé dans la « musique réglée » alimentée par les compositeurs. De plus, l’instrument n’est pas fabriqué par les faiseurs d’instruments de musique, et il n’est pas non plus vendu par eux.

Arrêtons-nous sur le métier de mercier. Déjà au XIVe siècle, le Dit d’un Mercier, long de quelque 150 vers, énumère la liste des marchandises vendues (voir Proverbes et dictions de Crapelet , p. 147-150) : « J’ai bones cordes à vieles […] / J’ai de bons flageus à pastor […] / J’ai beax clareins à metre à vaches […] / J’ai beax fresteax a frestel ».

Le mercier ne vend pas seulement des objets de luxe ou des ustensiles divers, mais aussi de petits jouets destinés aux enfants ou des cloches et clochettes pour les bergers. On y relève, dans les vers ci-dessus sélectionnés, des cordes pour vielles, des flageolets pour les bergers, des cloches à mettre au cou des animaux et des flûtes de Pan. Notons que si le mercier vend ces objets, ce sont les chaudronniers qui les fabriquent. → Voir notre Dossier critique de l’article CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b).

Parmi les six corps des marchands existant à Paris au XVIIIe siècle, celui des merciers occupe le troisième rang, mais « il est cependant regardé comme le plus important, d’autant qu’il renferme & comprend, pour ainsi dire, tout le commerce » des cinq autres (voir Dictionnaire universel de commerce de Savary, 1726, p. 712). Les merciers sont si puissants et si nombreux que Savary les répartit en vingt classes selon les objets qu’ils vendent, des plus luxueux ou plus communs. La 17e classe comprend « ceux qui font négoce de chauderonnerie, comme [...] cloches & clochettes ». La 20e classe, celle des « petits Merciers » vendent, entre autres, des peignes, poupées, tambourins, violons, étuis, jouets d’enfants, etc. (p. 714). Voir aussi Verlet, janvier-mars 1958 .

Une gravure — particulièrement intéressante pour notre propos — de Pierre Brueghel l’Ancien illustre un proverbe flamand, Tout mercier vante sa marchandise : à l’avant plan du panier du mercier se trouvent cinq guimbardes de trois tailles différentes.

Pierre Brueghel l'Ancien, Tout mercier vante sa marchandise, vers 1568 (BnF, Département Musique, ancienne collection Albert Pomme de Mirimonde) (Gallica)

Le texte néerlandais, placé au pourtour du médaillon, reproduit le dialogue entre un mercier (A) et son client (B). Le mercier tente de vendre, entre autres objets, des trompes (trompen en néerlandais), mais son client le repousse.

A. Hier netten ende trompen, ja oock schoon fluijten,

Gheen beter ware men nu hier in d’landt vindt.

B. Wech, versiet u, Cremere, loopt elders stuijten,

Daer ‘t volck noch is hoorende doof en siende blindt.

(traduction d’Ignace De Keyser que nous remercions :)

A. Voici des filets et trompes, et aussi des belles flûtes,

Meilleure marchandise nulle part ailleurs dans ce pays on ne trouve.

B. Dégage, prends garde, marchand, va foncer ailleurs,

Car le peuple n’est pas sourd en entendant, ni aveugle en voyant 3 .

Le poème français sous l’image reproduit la même idée en résumant le texte néerlandais.

A. Voicy les rets trôpes et fleutes ; telle denree ongues vous neutes.

B. Va ten mercier va ten dicy ; Ven ailleurs ta denrée aussi.


À la fin du XVIIe siècle, la figure de ce marchand reste vivace, car Jean Baptiste Bonnart l’illustre parmi ses 39 gravures représentant les métiers de Paris. On y voit le mercier et sa boîte de marchandises suspendue autour de son cou : une guimbarde est accrochée au rebord du couvercle.

Jean Baptiste Bonnart, Le Mercier, extr. Les Cris de Paris, vers 1676. (BnF, Département Musique, ancienne collection Albert Pomme de Mirimonde) (Gallica)

La variété de ses objets s’exprime dans le quatrain inscrit sous la légende :

Au public je suis necessaire

Jay tout ce dont Il a besoin

Voyes ce qui fait vostre affaire

Et prenes un peigne du moins.


Ces désignants différents pour qualifier des instruments identiques reflètent des approches diverses : en utilisant terme de Mercier, Jaucourt part du point de vue du métier, alors que Luth. et instrument de Musique traduisent l’usage de l’objet.

Enjeux et contenu des trois articles

Ces trois articles sont purement descriptifs, mais appellent divers commentaires quant à leur synonymie et leur contenu légèrement différent.

Soulignons les éléments communs et les différences de contenu de ces textes. Notons d’abord que la rebube, la rebute et la trompe sont tous trois du genre féminin. L’indication grammaticale de Trompe est sous-entendue dans la mesure où la vedette d’entrée se trouve dans un ensemble de huit articles de même intitulé 4 .

L’article REBUBE se contente de signaler trois synonymes pour l’appellation de l’instrument et de renvoyer à l’un d’entre eux.

L’article REBUTE décrit l’aspect formel de l’instrument et la manière de le tenir pour en jouer.

L’article Trompe fournit une description légèrement différente.

Si REBUBE et Trompe décrivent l’aspect formel de l’instrument, ils précisent aussi la manière de le tenir pour en tirer des sons, mais celle-ci diffère d’un article à l’autre : « on tient l’instrument avec les dents » (REBUTE), mais « entre les dents » (Trompe). Les synonymes cités dans les trois articles ne sont pas identiques, → voir ci-après Lexique technique.

Seul l’article REBUTE fait mention du contexte social de l’instrument, celui de faire danser les bergers. Aucun ne signale sa présence dans d’autres pays.

Classification de l’instrument

Aucun des trois textes de l’Encyclopédie n’aborde la question de la typologie de l’instrument, problématique qui divise encore aujourd’hui les organologues, puisque certains le classent parmi les idiophones (ou « instruments à percussion »), et d’autres parmi les aérophones (ou « instruments à vent »).

Remarquons que les deux opinions sont également présentes dans les ouvrages de l’époque. Pierre Le Loyer dans l’ Histoire des spectres (1605) range l’instrument parmi les « crumatiques», c’est-à-dire les percussions. Trichet (1640) 5 remarque que Mersenne (1636), selon ses écrits, le classe tantôt parmi les vents tantôt parmi les percussions et estime, quant à lui, cette dernière proposition comme la plus appropriée, parce que si la rebube « n’estoit pas battue elle ne resoneroit point par la seule respiration et haleine » 6 .

Le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1721) maintient l’instrument (rebube) parmi les percussions, tout comme Jacques Lacombe dans l’Art du faiseur d’instrumens de musique, et Lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785, p. 138) qui présente la « Rebute » dans son dernier chapitre, celui des percussions. En revanche, Jean Henri Hassenfratz dans l’ Encyclopédie méthodique. Physique (t. 4, 1822, p. 578) classe la guimbarde parmi les instruments à vent, et plus précisément parmi ceux qu’il appelle les « vents à onglet » ( Haine, 2015 ).

→ voir notre Dossier transversal Typologie et classification des instruments de musique dans l’Encyclopédie.

Lexique technique : une dizaine de synonymes pour guimbarde ?

Les trois vedettes et les synonymes cités dans ces articles offrent cinq appellations différentes pour désigner un même instrument : rebube, rebute, trompe, guimbarde, épinette. Les deux dernières n’ont pas d’entrée dans ce sens dans l’Encyclopédie. → voir notre Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.

Les termes trompe et guimbarde sont les seuls à être présents dans chacun des trois articles. Dans l’article Trompe, il ne reste que le synonyme guimbarde, les autres termes ont disparu. Faut-il en déduire que ces derniers étaient déjà tombés en désuétude au moment de la rédaction du volume XVI, ou en tout cas à l’époque de la source exploitée par Jaucourt ? Si les dix derniers volumes ont tous paru en 1765, on sait qu’ils ont été écrits les uns après les autres à une date antérieure.

Dans REBUBE, Jaucourt précise que le nom le plus ancien est celui de rebute. Or ce n’est pas le cas ; nous allons le démontrer en retraçant chronologiquement les appellations diverses de cet instrument et leurs variantes orthographiques.

La plus ancienne mention recensée du terme rebube (avec un b) se trouve dans l’ Histoire des spectres (1605, p. 845) de Pierre Le Loyer : « … la Rebube des François qui se chante en la bouche avecques les doigts ». Dans l’ Harmonie universelle , déjà évoquée ci-dessus, Marin Mersenne (1636-1637) détaille la manière d’en jouer sous le nom de trompe « que quelques-uns nomment Gronde, ou Rebube ». Le traité manuscrit des instruments de musique de Pierre Trichet (1640), lui aussi évoqué, parle à son tour de la rebube ou trompe.

Le Dictionnaire françois de Pierre Richelet (1680) répertorie l’instrument sous l’article TROMPE ; dans son édition de 1710, il donne également la traduction tubula chalybea. Le Dictionnaire de l'Académie françoise (1694) fournit la définition de l’instrument sous le même intitulé ; l’exemple lexicographique porte sur la trompe à laquais.

Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (1690) réserve une entrée à la fois à GRONDE, à REBUBE et à TROMPE, termes interchangeables dit-il, mais il en donne la définition sous le dernier des trois. Il précise que ce sont les laquais qui s’en servent « pour en tirer quelque harmonie », reprend les autres appellations déjà fournies par Mersenne et en ajoute une autre, trompe de Béarn. En 1726, Savary, dans son Dictionnaire universel de commerce , reprend au Dictionnaire de Trévoux de 1721 les termes de « rebubes ou trompes d’acier », mais précise que ces instruments viennent d’Allemagne.

Sous l’article INSTRUMENT, cette même édition du Dictionnaire de Trévoux mentionne les rebubes ou trompes d’acier parmi les instruments à percussion, ce qui témoigne de l’usage répandu de l’instrument puisqu’il est pris comme exemple dans cet article générique. La définition est donnée sous l’entrée TROMPE qui est reprise du Furetière (1690) ; divers synonymes sont mentionnés : gronde, rebute [avec un t], trompe de Béarn ainsi que la traduction latine déjà formulée par Richelet.

L’édition de 1738 du Dictionnaire de Trévoux ne comprend pas d’entrée réservée au terme Rebube [avec un b], mais celles de REBUFE [avec un f] et de GRONDE pointent toutes deux vers TROMPE où se lit la définition. Cette fois, l’instrument est mentionné aux mains des enfants et non plus dans celles des laquais. Parmi les synonymes se trouvent encore ceux de l’édition de 1721, mais une nouvelle appellation s’y ajoute, celle de guimbarde, terme en usage à Paris. Trévoux a donc introduit trois nouveaux termes : rebute [avec un t] et guimbarde en 1721 et rebufe (avec un f) en 1738, termes qui se sont substitués à l’original rebube (avec un b).

Il nous semble que ces deux nouveaux termes, rebute et rebufe, sont vraisemblablement des termes corrompus, provenant d’une erreur de transcription. A moins qu’il ne s’agisse, de la part du Dictionnaire de Trévoux , d’enregistrer la prononciation rebute et qu’il introduit ainsi un nouvel usage oral, ce qui ne serait sans doute pas invraisemblable pour un instrument populaire 7 .

Ces deux termes rebute et rebufe ne seront que très rarement repris dans les dictionnaires ultérieurs du XVIIIe siècle : la REBUFE dans le Supplément du Manuel Lexique de Prévost (1755), de même que la REBUTE dans la nomenclature de l’Encyclopédie, ce que nous pouvons considérer comme regrettable, puisque cet ouvrage est censé faire autorité. Dans le premier cas, il n’y a pas d’autres vedettes d’adresse susceptibles de rattraper l’erreur éventuelle. Qui plus est, à côté de guimbarde et trompe, Prévost signale encore une appellation supplémentaire, épinette, première occurrence du terme dans le sens de guimbarde. Ce synonyme est repris dans l’Encyclopédie au terme REBUTE.

Le Dictionnaire de musique de Brossard (éditions de 1703 et 1708) et le Dictionnaire portatif des Beaux-Arts de Lacombe (éditions 1752 et 1756) ne recensent aucun de ces termes.

Le Notionaire de Garsault (1761, p. 657), très utile pour connaître les pratiques de l’époque dans tous les domaines, signale seulement « guimbarde ou trompe de laquais, instrument favori des polissons & décroteurs [sic] », instrument rangé parmi les instruments d’amusement. Cet auteur classe en effet les instruments selon leur usage et non selon leurs propriétés acoustiques.

Passons aux ouvrages postérieurs à l’Encyclopédie. Benjamin de Laborde dans son Essai sur la musique (1780) décrit à présent l’instrument sous l’appellation guimbarde et donne sa traduction italienne, Spassa penziero.

Joos Verschuere-Reynvaan, auteur du premier dictionnaire de musique en néerlandais, le Muzijkaal Kunst-Woordenboek (1795) , définit l’instrument sous son appellation française de guimbarde ; il donne trompe de Béarne [sic] comme synonyme et précise qu’il est joué par des jeunes garçons. L’emploi du terme en français témoigne de son introduction récente dans le pays, ainsi que de sa popularité en France.

Les dictionnaires de langue française continuent de décrire l’instrument sous l’entrée TROMPE. Le terme guimbarde en tant que vedette d’adresse n’entre dans le Dictionnaire de l'Académie françoise qu’en 1798.

Les termes rebube, rebute et guimbarde sont absents de la nomenclature du Grand Vocabulaire françois  ; seul le terme TROMPE s’y trouve (t. XXVIII, 1773).

Les dictionnaires de langue du XIXe siècle placeront le terme trompe en seconde place au profit de guimbarde ; seuls les dictionnaires de musique reprendront sous l’intitulé guimbarde quelques-uns des différents termes utilisés antérieurement, y compris celui de rebute.

En résumé, l’apparition chronologique de ces termes avec le sens de l’instrument décrit ici est la suivante : rebube (1605), trompe et gronde (1636), trompe de Béarn (1690), trompe à laquais (1694), rebute ou trompe d’acier (1721), rebufe et guimbarde (1738), épinette (1755) ; citons aussi les traductions tubula chalybea (1710) et spassa penziero (1780).

Les variantes orthographiques ou de prononciation du même mot ont donc engendré des doublons qui ont trouvé place dans les nomenclatures des dictionnaires au lieu de rester confinés parmi les synonymes de la définition originale ou la plus en usage. Elles sont également à l’origine des termes aujourd’hui utilisés dans les différents pays où l’instrument s’est propagé. ( Dournon-Taurelle et Wright, 1978 ).

Nous avons évoqué la corruption éventuelle ou les prononciations populaires des termes rebute et rebufe. Faut-il vraiment considérer les autres termes comme synonymes, ou plutôt comme des régionalismes, ainsi que le laisse entendre Jaucourt dans REBUTE ? Une étude synchronique pourrait sans doute confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Le terme de guimbarde est manifestement réservé à la ville de Paris en ce milieu du XVIIIe siècle. Il finit par s’imposer dès la fin du siècle et supplante ensuite tous les autres.

Parmi les divers synonymes cités dans les trois articles de l’Encyclopédie, le terme rebute est lui aussi emprunté au Dictionnaire de Trévoux (1738), tandis que celui d’épinette provient de Supplément du Manuel Lexique (1755). Le discours de rebube se réduisant à une simple phrase, il n’y a pas lieu de rechercher sa source.

Contexte social

L’instrument semble être joué par des hommes de condition modeste ou alors utilisé comme jouet par les enfants. En 1739, François Campion Sur la mode des instrumens de musique citait déjà la guimbarde parmi les « instruments vulgaires », aux côtés du tympanon, du psaltérion, du chalumeau et de la flûte à l’oignon. Cet adjectif vulgaire doit se comprendre au sens de sa racine latine, vulgus, qui s’identifie au peuple, au commun des hommes. C’est dans ce sens qu’il faut aussi interpréter l’explication (déjà formulée plus haut) de la fig. 27 de la seconde suite de la Pl. II. Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, de Percussion. (t. V, 1767) : « rebube appellée [sic] vulgairement guimbarde ». Nous avons signalé plus haut que l’instrument n’appartient pas à la « musique réglée », celle que l’on couche sur une partition.

Quant à son usage, les divers ouvrages, on l’a vu, placent l’instrument entre les mains des laquais, des enfants, des décrotteurs et des polissons ; l’article REBUTE , (instrument de Musique.) (t. XIII, 1765, p. 843a) le met entre celles des bergers.

Bien que l’instrument soit aux mains du petit peuple, il se trouve pourtant un seul et unique compositeur à la fin du XVIIIe siècle qui a écrit deux concertos où la guimbarde joue un rôle de soliste. En 1770, Johann Georg Albrechtsberger compose deux concertos pour une formation tout à fait inhabituelle : mandore, guimbarde et orchestre, l’un en Mi majeur, l’autre en Fa majeur.

→ Concerto n°2 en Fa majeur de Johann Georg Albrechtsberger, Concerto n°2 en Fa majeur pour guimbarde, mandore et orchestre . Pour chacun des trois mouvements (1. Allegro Moderato ; 2. Andante ; 3. Menuett : Moderato), la version reprise ici de Youtube fournit également une illustration différente d’un tableau avec une guimbarde.

Coda historique

Les découvertes archéologiques du XXe siècle ont mis à jour près d’un millier de guimbardes qui font remonter l’instrument à l’époque gallo-romaine. La guimbarde a connu une grande popularité en Flandre aux XVIe et XVIIe siècles. Elle était donc aussi très populaire au XVIIIe siècle. Si elle semble avoir traversé une période d’oubli après la Seconde Guerre mondiale, elle bénéficie d’une renaissance certaine depuis les dernières décennies du XXe siècle, notamment avec l’émergence de groupes de musique populaire et son emploi répété entre les mains de musiciens folk. Les études spécifiques sur l’instrument menées depuis lors montrent la très grande diversité de formes, de jeux et d’appellations selon les régions du monde où l’instrument est en usage ( Dournon-Taurelle et Wright, 1978 ).

Correspondances internes à l’Encyclopédie

Seul l’article REBUBE dirige vers l’article REBUTE. Or ce terme n’est pas le plus courant, nous l’avons indiqué ci-dessus (voir Lexique technique).

Le renvoi à l’illustration de l’instrument parmi les planches n’est pas mentionné. → voir l’illustration de l’instrument à la figure 27 de la Pl. II. Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, de Percussion. (t. V, 1767). L’explication de cette figure est succincte et ne fournit que deux synonymes, nous l’avons vu. C’est là un indice de la manufacture de l’Encyclopédie : la rédaction des articles, du moins de ceux-ci, ne s’est pas faite en relation avec des planches déjà dessinées.

Cette légende donnée à la figure illustrée apparaît ainsi comme un rattrapage des erreurs ou des oublis commis dans les discours des trois termes étudiés, puisqu’elle écarte certains termes et ne retient que le terme d’origine et celui en usage. Une fois de plus, on constate que les planches permettent de revoir le contenu des articles. Cette planche est gravée par [Robert] Benard, mais le nom du dessinateur n’est pas mentionné.

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois (t. XXVIII, 1773) ne recense ni rebube ni rebute ni guimbarde ; seul le terme Trompe y est présent (t. 28 ; 1773), mais avec une autre définition que celle de l’Encyclopédie.

L’ Encyclopédie d'Yverdon reprend verbatim les trois articles de l’Encyclopédie, respectivement au volume XXXVI (1774) pour REBUBE (p. 202a) et REBUTE (p. 202b), et au volume 41 (1775) pour Trompe (p. 478a-479b).

Jacques Lacombe dans l’Art du faiseur d’instrumens de musique, et Lutherie dans l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (1785, p. 137-138) reprend verbatim le texte de REBUTE de Jaucourt qu’il découpe en quatre paragraphes ; il cite aussi les synonymes mentionnés dans le texte princeps, mais ne leur consacre pas de section spécifique.

À l’entrée GUIMBARDE de l’ Encyclopédie méthodique. Musique (t. 1, 1791), Framery prétend que le terme est absent de l’Encyclopédie et du « Dictionnaire de lutherie de l’Encyclopédie méthodique » (comprendre l’Art du faiseur de Lacombe, 1785). Certes, le terme ne fait pas partie de leur nomenclature respective, mais l’instrument se trouve pourtant répertorié sous d’autres appellations, nous l’avons démontré ; de plus, le terme guimbarde figurait bien parmi les synonymes mentionnés sous ces autres appellations. L’assertion de Framery prouve au moins que l’instrument, en 1791, semble s’être imposé sous le vocable de guimbarde et qu’on a même sans doute déjà oublié ceux de trompe, gronde ou rebube, sinon Framery aurait pensé à consulter ces termes dans les anciennes encyclopédies. L’auteur apporte de nouvelles informations : l’instrument est signalé dans de lointaines contrées, notamment en Afrique chez les Hottentots. En France, la guimbarde n’est connue que de « cette classe de peuple qui, des montagnes de Savoie ou d’Auvergne, vient proposer aux habitants de la capitale l’emploi de ses petits talens ». Pourtant, l’instrument amorce peut-être déjà son transfert social, puisque Framery relate qu’un « homme du monde » s’est amusé à en apprendre la technique et qu’il en joue « avec une grande supériorité ». A-t-il eu connaissance des concertos pour guimbarde écrits par Johann Georg Albrechtsberger en 1770 ?

Bibliographique (sources secondaires, ordre chronologique)

Pierre Verlet, « Le commerce des objets d’art et les marchands merciers à Paris au XVIIIe siècle » , Annales. Histoire, Sciences Sociales , 13 / (janvier-mars 1958) , p. 10-29 [consulter] .

Geneviève Dournon-Taurelle et John Wright, Les guimbardes du Musée de l’Homme, Institut d'ethnologie, Paris, 1978 .

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l'Encyclopédie: Diderot, de l'usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Voltaire foundation, Oxford, 1999, rééd. 2008 .


1 : Deux articles y figurent : GUIMBARDE (Menuiserie) et GUIMBARDE (LA), JEUX (tous deux au vol. VII, p. 1008b). Le premier décrit un outil, le second est le nom d’un jeu de cartes. Un autre article est à signaler dans lequel le terme constitue un complément au mot vedette : MARIÉE ou JEU DE LA GUIMBARDE (vol. X, p. 121a) ; le terme vise « une danse fort amusante ».
2 : Pour les autres désignants, Voir notre Dossier transversal « Lutherie et Instruments de musique dans l’Encyclopédie » : rubrique Les désignants.
3 : Cette comparaison fait référence à la parabole dans l’Évangile de Mathieu 13, 13.
4 : Sous ces huit intitulés, deux concernent un instrument de musique : celui-ci est placé en quatrième position après TROMPE (Conchyl.) ; TROMPE D’EUSTACHE ; TROMPE (Archit.). Il est suivi de TROMPES DE FALLOPE, en Anatomie ; TROMPE (Hist. nat. des insectes), TROMPE (Pyrothech.) et enfin, le dernier de la série, TROMPE sans désignant, est synonyme de cor de chasse.
5 : Pierre Trichet, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Manuscrit 1070 (ca 1640). Manuscrit édité par François LESURE, « Le Traité des Instruments de Musique de Pierre Trichet : les instruments à vent », dans Annales musicologiques Moyen-Âge et Renaissance [publication de la Société de Musique d'autrefois], t. III, 1955, p. 283-387, ici p. 245
6 : Marin Mersenne, Harmonie universelle : Proposition XXV, Expliquer la matiere, la figure, & l’usage de la Trompe, que quelques-uns nomment Gronde, ou Rebube (Livre septiesme, Des instrumens de percussion, p. 49, 1636).
7 : Hypothèse émise par Alain Cernuschi que je remercie.
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