par Malou Haine, publié le 04/10/2017

L’article se compose de deux phrases : la première définit ce qu’est un drouineur ; la seconde précise qu’il vient d’Auvergne. L’enjeu consiste en une simple définition lexicale.

Lexique technique

La drouine est ainsi définie dans l’Encyclopédie DROUINE , terme de Chauderonnier (t. V, 1755, p. 148b) :

DROUINE, s. f. terme de Chauderonnier. Les chauderonniers qui courent la campagne, nomment ainsi une espece de havresac de cuir avec des bretelles, dans lequel ils portent sur leur dos leurs outils & une partie de leurs menus ouvrages. Voyez Chauderonnier . Dictionn. de Trév.

Notons toutefois que le Dictionnaire de Trévoux (1721, 1732, 1743) ne mentionne ni la drouine ni le drouineur dans l’article ciblé (Chauderonnier), mais sa nomenclature comprend les termes drouine et drouineur dont les définitions ne sont pas reprises dans l’Encyclopédie.

Deux orthographes pour un même mot : chauderonnier ou chaudronnier ?

Deux orthographes pour un même métier se côtoient dans l’Encyclopédie. Dans cet article-ci, comme dans celui de CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b), le terme s’écrit avec un e. Pourtant le Dictionnaire françois de Richelet fournit déjà en 1680 à la fois chauderonnier et chaudronnier sous une seule et même vedette d’adresse.

Le Dictionnaire universel de Furetière (1690) utilise l’orthographe chauderonnier, de même que le Dictionnaire de l’Académie françoise en 1694, mais celle-ci recense le terme sous chaudronnier en 1762.

Le Dictionnaire de Trévoux n’introduit cette dernière orthographe que dans son édition de 1771.

Dans l’Encyclopédie, il n’y a pas d’entrée pour chaudronnier, mais cette orthographe apparaît dans une dizaine d’articles contre une quarantaine pour chauderonnier. En revanche, dans les planches de ce métier (Recueil de planches, vol. III, 1763), la seule orthographe chaudronnier est utilisée, ce qui atteste d’une orthographe stabilisée en une dizaine d’années. Chauderonier, avec un seul n, est utilisé une seule fois.

Chauderonnier semble bien être une corruption du terme, d’autant que l’orthographe chaudronnier est la plus ancienne (depuis 1420) et est seule utilisée dans les Statuts de la Communauté des Chaudronniers .

Le Trésor de la langue française informatisé (site TLFI) fait remonter le terme chaudronnier à 1277. Cette même plateforme ne cite pas l’autre orthographe.

Distinction entre chaudronniers ambulants (drouineurs) et chaudronniers en boutique

Les chaudronniers ambulants parcourent les campagnes pour vendre et réparer les objets de cuivre que fabriquent les chaudronniers sédentaires qui travaillent en boutique dans les villes.

Le Dictionnaire universel de commerce de Savary (1723 et éditions suivantes) les distingue clairement par deux notices : CHAUDERONNIER et Chauderonnier au sifflet. Pour les premiers, il donne des informations sur les statuts de la communauté. Pour les seconds qui viennent principalement d’Auvergne, il définit leurs activités et précise leurs prérogatives et restrictions. Dans son Dictionnaire œconomique , Chomel (suppl. t . I, 1741, p. 102) amplifie la description :

Il y a des chauderonniers qu’on peut appeler ambulans, qui courant la campagne, leur petite boutique & bagage sur le dos, se servent d’un sifflet à l’antique de sept tuiaux pour avertir les habitants des petites Villes & des Villages où ils passent, de leur apporter à racommoder les utenciles & batteries de cuisine de cuivre ou de fer, qui en ont besoin. La plupart de ces chauderonniers ne font que le vieux, il y en a pourtant quelques-uns qui vendent du neuf, mais ceux-ci ont des chevaux de somme chargés de grands paniers d’osier, où ils mettent leurs marchandises & leurs outils. Il est défendu à tous ces chaudronniers coureurs, de siffler, de racommoder les ouvrages de chauderonnerie à Paris & dans les autres Villes du Roiaume, où les chauderonniers sont en corps de jurande ; à l’égard de ceux qui vendent du neuf, ils y sont traités comme marchands forains. La chauderonnerie fait une partie du commerce de la mercerie.

Il y a donc bien une hiérarchie entre ces deux catégories : les chaudronniers sédentaires sont protégés par les statuts de leur corporation, tandis que les autres sont assimilés aux marchands forains dont le champ d’activités est plus restreint. D’autres appellations circulent pour désigner les chaudronniers ambulants ; à côté de chaudronnier au sifflet qui semble l’expression la plus courante, on trouve également chaudronniers forains ou chaudronniers colporteurs (voir Dictionnaire universel de police , t. 2, 1786, p. 510), ou encore chaudronniers de campagne dans le Nouveaux dictionnaire Arts & Sciences de Dyche (t. 1, 1756, p. 361) ou chaudronniers de province.

Comme le précise le présent article, le terme drouineurs est plutôt ironique. D’autres appellations circulent pour désigner les chaudronniers ambulants : chaudronniers forains, chaudronniers colporteurs, chaudronniers de campagne, chaudronnier des provinces ou, le plus souvent, chaudronniers au sifflet.

→ Voir Dossier critique de l’article CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b).

Le vieux terme français maignan et ses variantes orthographiques (maagnans, maignens, maingnens, etc.) sont également utilisés dans certaines régions (voir Dictionnaire ancien français & dialectes de Godefroy (t. 5, 1881) et le Dictionnaire des métiers de Franklin (1906).

Pour les attributions du chaudronnier ambulant, donc du drouineur, voir aussi l’article Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) et son dossier critique.

Illustration d’un drouineur ou chaudronnier ambulant

Parmi les Cris de Paris comprenant 39 gravures illustrant les métiers de rues dessinées et gravées par les frères Bonnart vers 1676 se trouve Le Chaudronier [sic]. Celui-ci porte sur son dos un havresac ou drouine dans lequel sont rangés ses marchandises. Il tient dans sa main droite un sifflet de Pan (flûte de Pan dans notre terminologie moderne) : c’est donc bien le drouineur, ou chaud(e)ronnier ambulant ou chaud(e)ronnier au sifflet.

Jean-Baptiste Bonnart, Le Chaudronier [sic], gravé par Henri Bonnart, extr. Les Cris de Paris, vers 1676 (BnF, Estampes, RESERVE QB-201 (67)-FOL).

Remarquons que ce drouineur ou chaudronnier ambulant tient dans sa main gauche et sous son coude droit des ustensiles de cuisine. Il porte sur son dos un havresac de cuir appelé drouine.

Le sifflet de ce chaudronnier est une flûte de Pan de type monoxyle 1 , dont les tuyaux sont forés dans une seule pièce, probablement en fer blanc (mais elle peut se construire en bois, en ivoire ou en corne). De très petite taille puisqu’elle tient dans une seule main, elle produit une mélodie suraiguë, d’où ce son « rude à l’oreille » évoqué dans le quatrain placé sous le dessin.

Avec sa voix de loup garou,

Et son siflet rude à l’oreille ;

Chacun dit qu’il sçait à merveille,

Mettre la piece auprez du trou

Ce quatrain se prête à diverses interprétations. Littéralement, le texte reconnaît l’habileté du chaudronnier par ses deux derniers vers : « Chacun dit qu’il sçait à merveille… ». Mais le dernier vers peut également se comprendre comme une facétie tournant en dérision le manque de dextérité du chaudronnier si l’on considère qu’il s’agit d’une antiphrase ironique : « Mettre la piece auprez du trou » évoquerait alors la maladresse du chaudronnier pour réparer les ustensiles qui lui sont confiés. C’est l’explication avancée par Dictionnaire universel de Furetière (1690) : « On reproche aux Chauderonniers, qu’ils sont sujets à mettre la pièce auprés du trou : ce qui se dit figurément de ceux qui racommodent [sic] mal quelques besogne que ce soit ». Cette interprétation est reprise par (1721 et 1771).

De son côté, l’anthropologue Claudine Vassas que nous avons consultée  2 confirme l’habileté du chaudronnier ambulant, artisan utile dans les campagnes et redouté, ce qu’elle appelle un « homme rouge ». Elle y voit une sauvagerie vocale et musicale — « sa voix de loup garou » et « son sifflet rude à l’oreille » — expressions qui font écho à ses capacités sexuelles auprès des femmes (« Mettre la piece auprez du trou » ).

Correspondances internes à l’Encyclopédie

Deux renvois auraient pu compléter les informations de ce court article : CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b), article dans lequel Diderot distingue implicitement ces deux types de chaudronniers : les sédentaires qui travaillent en boutique et les ambulants qui parcourent les campagnes pour vendre leurs marchandises. Le renvoi à Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) aurait permis de connaître l’instrument de musique par lequel le drouineur s’annonce à l’entrée des villages et l’une de ses autres spécialités, celle de castrer les chats. → voir les dossiers critiques de ces deux articles.

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le terme est absent de la nomenclature du Grand Vocabulaire françois (t. VIII, 1769) de Panckoucke.

L’ Encyclopédie d'Yverdon (t. XIV, 1772, p. 620) reprend à l’identique de l’Encyclopédie les définitions des termes drouine et drouineur.

Ces mêmes définitions sont reprises verbatim dans Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 1, p. 635, 1782) dans la section relative à l’Art du Chaudronnier.

Bibliographie (sources sesondaires)

Claudine Fabre-Vassas, « Le charme de la syrinx » , L’Homme. Revue française d’anthropologie , 23 / (1983) , p. 3-59 [consulter] .


1 : Le terme de syrinx monocalame est réservé à la flûte droite dans les textes grecs anciens.
2 : Echanges de mails du 28 juillet 2016. Voir son article si éclairant :« Le charme de la syrinx », L’Homme, 1983, vol. 23, no° 3, p. 5-39.
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