par Malou Haine, publié le 11/10/2017

La typologie et la classification des instruments de musique varient selon les pays, les époques et les auteurs en fonction de divers critères : matière, propriétés acoustiques, usage, mode jeu, timbre, affiliation, statut social, historique, répartition géographique, etc. En occident, depuis l’Antiquité, on range généralement les instruments en trois catégories : les cordes, les vents, les percussions. Cette classification tripartite remonte au philosophe grec Porphyre de Tyr (IIIe siècle), puis est reprise soit dans cet ordre ou dans un autre par plusieurs théoriciens de la musique dont certains proposent des subdivisions intéressantes. Citons, entre autres, Boèce et Cassiodore (VIe siècle), Johannes de Muris (1322), Sebastian Virdung (1511), Martin Agricola (1529), Gioseffo Zarlino (1558), Michael Praetorius (1619), Marin Mersenne (1636) 1 , Trichet Pierre (1640), Sébastian Brossard (1703), Johann Philipp Eisel (1738).

Les nombreux critères de différenciation conduisent souvent les auteurs à proposer des subdivisions plus ou moins complexes dans chacune des sections de cette classification tripartite ou même à en proposer de nouvelles. Ces diverses typologies ne sont plus considérées de la même manière de nos jours, et les classifications du XXe siècle ont acquis une complexité sans pareille.

L’Encyclopédie comprend trois articles — Instumens , (Musiq. & Luth.) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a) , Organique (t. XI, 1765, p. 629b) et MUSIQUE , (Ordre encycl. entendem. raison, Phil. ou science de la nature, Mathématique, Math. mixtes, Musique.) (t. X, 1765, p. 898a–903a)  — qui présentent une classification identique dans leur conception (cordes, vents, percussions), mais dissemblable dans leur formulation, l’ordonnancement des catégories et les exemples proposés. Seul le premier article propose des subdivisions.

Dans l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a), Diderot, suivant le Dictionnaire de musique de Brossard (1703) reprend la classification en trois classes : instruments à cordes, instruments à vent, instruments de [sic] percussion. Il décompose ces trois classes en neuf subdivisions supplémentaires et prend ses exemples parmi les instruments de son époque. Ce critère de subdivision est basé sur la manière dont on tire les sons des instruments ; reprenons ces subdivisions pour en faire ensuite la critique.

  • Les cordes se divisent en trois sections, selon qu’elles résonnent par l’intermédiaire des doigts (luth, théorbe, guitare, harpe), d’un archet (violon, viole, trompette marine), ou des sautereaux (épinette, clavecin, vielle).
  • Les vents comprennent deux sections : d’une part, « ceux que l’on fait parler avec la bouche » (flûte, trompette, hautbois, basson, serpent) et, d’autre part, ceux dont le vent est obtenu par des soufflets (musette, chalemie ou loure, orgue).
  • Les percussions offrent quatre subdivisions selon que les instruments sont frappés avec des baguettes (tambour, timbales), avec des petits bâtons (psaltérion), avec « une plume » (ou plectre dans notre terminologie moderne) (cistre), avec des marteaux ou avec des battans (cloches).

Remarquons tout d’abord que parmi les 24 instruments cités, il s’en trouve un qui est classé dans une autre catégorie que celle admise aujourd’hui : le « cistre » « frappé » avec « une plume » figure parmi les percussions. Une triple explication s’impose ici. Tout d’abord le terme « cistre » qui est absent de la nomenclature de l’Encyclopédie, mais qui apparaît toutefois dans l’entrée anonyme Pandore , (Luth.) (t. XI, 1765, p. 815a) pour expliquer que les touches (entendre « frettes » dans notre terminologie moderne) sont semblablement faites de cuivre. Le terme « cistre » fait donc bien référence à un instrument à cordes 2 . Ensuite, le terme « plume » doit lui aussi être explicité, car il ne bénéficie pas non plus d’une place au sein de la nomenclature dans le domaine de la lutherie. Par « plume », il faut comprendre « plectre » selon notre terminologie actuelle (le plectre est fabriqué avec un bec de plume). Enfin, remarquons une différence de taille quant à la perception de la formation du son : là où le cistre est frappé par une plume, et donc classé parmi les instruments de percussions, nous dirions aujourd’hui qu’il est pincé par un plectre, et donc classé parmi les instruments à cordes. Reconnaissons humblement que ni le terme « pincer » n’est pas plus approprié que celui de « frappé » pour décrire l’action du plectre...

→ Voir notre Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.


Cette même classification tripartite (instruments à cordes, à vent et « instrumens qu’on frappe »), mais sans aucune subdivision, est également proposée dans l’article MUSIQUE , (Ordre encycl. entendem. raison, Phil. ou science de la nature, Mathématique, Math. mixtes, Musique.) (t. X, 1765, p. 898a–903a) portant la marque de Rousseau. Ses exemples sont pris parmi les instruments de l’Antiquité. Ces différences s’expliquent en raison des textes pris pour base de rédaction : pour la partie du discours qui traite de la classification des instruments, chacun des auteurs utilise une source différente. Diderot recopie l’article strumento 3 du Dictionnaire de musique de Brossard (1703), tandis que Rousseau reproduit la traduction de la Cyclopædia de Chambers (1728).

Jacques Savary Des Bruslons, dans son Dictionnaire universel de commerce , reprend également le texte de Brossard à l’entrée « Faiseur d’instrumens » dont le contenu ne varie guère au cours des diverses éditions de 1723 à 1765, à la seule différence que, parmi les percussions, il n’a conservé aucune des subdivisions de son aîné. → voir notre Dossier critique de l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a).

Enfin, le terme Organique (t. XI, 1765, p. 629b) désigne la musique ancienne qui s’exécute sur instruments. La division tripartie est citée dans un ordre différent : les instruments à vent viennent en premier lieu, suivis des cordes et des « instruments de percussion ou à batterie ». Voici donc un autre qualificatif appliqué aux percussions : « instruments à batterie », expression qui constitue un hapax, non seulement dans les typologies au sein de l’Encyclopédie, mais aussi parmi celles du XVIIIe siècle ou qui lui sont immédiatement postérieures. Cette expression vient directement de la traduction de la Cyclopædia de Chambers (1728) dont l’article est l’exacte traduction, « Pulsative instruments » est utilisé pour qualifier la troisième classe. Le traducteur a procédé à une traduction littérale, tout en ajoutant la formulation française en usage.

Rousseau réserve une entrée à Organique dans son Dictionnaire de musique , mais il supprime le passage relatif à la classification tripartite.

Incohérences et ambiguïtés au sein de l’Encyclopédie

La classification définie à l’article générique Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a) est loin d’être respectée au sein même de l’Encyclopédie. D’autres typologies apparaissent dans les intitulés des planches, selon les instruments qui y sont représentés, ou encore selon les descriptions individuelles des instruments au sein du discours. Plusieurs constatations émergent : catégorisations plus fines, typologies contradictoires pour un même instrument, ou encore typologies nouvelles.

S’il y a des divergences entre l’article générique et les discours des différents instruments, ou entre l’article générique et les planches, ces dysfonctionnements sont liés à la manufacture de l’Encyclopédie. D’un côté, le domaine de la lutherie n’est pas aux mains d’un seul contributeur, et le nombre de ceux-ci varie au cours de l’entreprise : chacun exprime donc sa propre vision lorsqu’il rédige tel ou tel article, sans se référer à l’article générique. D’un autre côté, la fabrication des planches et leurs explications sont relativement autonomes, parfois sans rapport immédiat avec le contenu des articles concernés dans les volumes de texte. Ainsi se constate une réflexion ouverte en constante évolution tant dans la conception des typologies que dans l’emploi d’une terminologie technique, « organologique » dirons-nous aujourd’hui, non encore fixée.

→ voir Dossier transversal Lutherie et instruments de musique dans l'Encyclopédie.

1. Entrée générique versus articles individuels

Les discours individuels des 154 articles consacrés à des instruments dans l’Encyclopédie ne respectent pas souvent la classification énoncée dans l’article générique Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a). On remarque tout d’abord que les textes, d’une manière générale, débutent souvent par une description formelle qui omet de préciser à quelle classe appartient l’instrument concerné : c’est le cas pour plus de la moitié des articles. Toutefois, lorsqu’elle est présente, la typologie se limite à l’une des trois classes traditionnelles, ou à leur subdivision (ce qui est néanmoins très rare). En revanche, dans la plupart des cas où la typologie est précisée, celle-ci ne correspond à aucune des subdivisions de l’article générique :

- « instrument à pincer » pour Angélique , (terme de Luth.) (t. I, 1751, p. 460a)

- « instrument à cordes de boyau » pour GUITTARE , (Musique.) (t. VII, 1757, p. 1011a–1013A)

- « instrument à vent portatif » pour Trompette , (Luth) (t. XVI, 1765, p. 694a–b)

- « instrument à anches » pour CORNEMUSE , ( Lutherie & Musique. ) (t. IV, 1754, p. 251b–252a)

- « instrument à vent, & à anche » pour : BASSON DE HAUTBOIS ou simplement BASSON , (Lutherie.) (t. II, 1752, p. 127a–129a) ; CHALUMEAU , ( Musique & Lutherie. ) (t. III, 1753, p. 40a–b) ; COURTAUT , ( Luth. & Musique. ) (t. IV, 1754, p. 399a) ; Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b) ; MUSETTE , instrument de musique, à vent & à anches (t. X, 1765, p. 895a–897b) ; Taille de Haut-bois , (Lutherie.) (t. XV, 1765, p. 856b) et TAROT , (terme de Luther.) (t. XV, 1765, p. 915b)

- « instrument à archet » pour définir la viola di bracio décrite à l’article VIOLE , (Lutherie.) (t. XVII, 1765, p. 310b–311a)

Les typologies mentionnées font parfois aussi état de l’ambiguïté même d’un instrument qui, par sa composition ou par son jeu, peut appartenir à deux classes différentes :

- « instrument de percussion & à touches » pour CLAQUEBOIS , (Luth.) (t. III, 1753, p. 504a–b)

- « instrument à cordes & de percussion » pour Tambourin , (Lutherie.) (t. XV, 1765, p. 877b)

Deux cas ont été relevés d’un instrument qui fait office de classe typologique à lui tout seul :

- « de la classe des violons » pour Poche , (Luthier.) (t. XII, 1765, p. 810a) et Viole, basse de , (Instrument de Musique.) (t. XVII, 1765, p. 311a–315a)

Enfin, certaines qualifications témoignent d’autres conceptions, parfois nouvelles, qui ignorent totalement la classification tripartite :

- « instrument de mélodie & d’harmonie » pour CLAVECIN , (Luth.) (t. III, 1753, p. 509a–511a)

- « instrument à touches » pour Clavecin oculaire , (Musiq. & Opt.) (t. III, 1753, p. 511a–512a)

- « instrument militaire » pour Corne , (Hist. anc.) (t. IV, 1754, p. 249b) et TAMBOUR , (Art milit.) (t. XV, 1765, p. 874b–875a)

- « instrument hors d’usage » pour REBEC , (instrum. de Musique.) (t. XIII, 1765, p. 840a)

- « instrument des anciens » ou « ancien instrument » pour BARBITON , (Hist. ancienne.) (t. II, 1752, p. 73b) ; DICORDE , (Hist. anc.) (t. IV, 1754, p. 955a–b) ; Flûte double , (instrum. de Musiq.) (t. VI, 1756, p. 895a) ; SAMBUQUE , (Musiq. des Hébreux.) (t. XIV, 1765, p. 595b–596a) et TRIGONON , (Musiq. des anc.) (t. XVI, 1765, p. 642b)

- « instrument à vent des anciens » pour Fistule ou Petite Flute , (Luth.) (t. VI, 1756, p. 831b)

- « instrument des Grecs » pour SEMICON , (Musiq. inst. anc.) (t. XIV, 1765, p. 943b)

- « instruments des Hébreux » pour NABLUM , (Musique des Hébreux.) (t. XI, 1765, p. 3a)

- « instrument des negres de l’Amérique » pour BULAFO (t. II, 1752, p. 461a) et TAMBOULA (t. XV, 1765, p. 874b)

- « instrument de musique d’Egypte » pour NAKOUS , (Musique égyptienne.) (t. XI, 1765, p. 10b–11a)

Remarquons également que certains désignants s’identifient parfois à des subdivisions de la classification tripartite ; ils précisent ainsi une typologie plus spécifique :

- instrument de musique à vent pour la Flute Allemande ou Traversiere , instrument de Musique à vent (t. VI, 1756, p. 895a–899a) et ORGUE , (Instrument à vent.) (t. XI, 1765, p. 634a–640b)

- instrument de musique à vent & à anche pour Hautbois , instrument de musique à vent & à anche (t. VIII, 1765, p. 69b–70b) et MUSETTE , instrument de musique, à vent & à anches (t. X, 1765, p. 895a–897b)


Au vu de ces diverses typologies, plusieurs remarques s’imposent. Les « instruments à pincer » sont simplement une autre manière d’exprimer que l’on fait résonner cet instrument « avec les doigts » comme l’indique l’article générique. Il est intéressant de noter que l’article Angélique , (terme de Luth.) (t. I, 1751, p. 460a) est traité au volume I et que sa typologie aurait pu influencer la rédaction de l’article générique du volume VIII.

L’indication « instrument à cordes de boyau » sous-entend qu’il existe d’autres instruments munis de cordes en métal (laiton ou fer), mais cette dernière typologie n’est jamais utilisée, pas plus que celle d’instruments à vent positifs (c’est-à-dire instruments de taille moyenne qui reposent sur le sol) qui sont les pendants d’un « instrument à vent portatif », ces petits instruments portés en mains.

La précision « un instrument à vent et à anche » s’est également imposée pour les intitulés de planches. Il faut d’ailleurs regretter que l’article ANCHE , en Lutherie (t. I, 1751, p. 439a) défini au premier volume n’ait pas donné lieu à une subdivision typologique au sein de la classification de l’article générique.

Par ailleurs, stipuler qu’un même instrument peut appartenir à deux classes différentes prouve que l’auteur de ces notices s’est assurément posé la question de la typologie.

Les nouvelles classifications qui émergent des typologies de certains instruments témoignent d’une rare clairvoyance qui prouve que les encyclopédistes qui ont rédigé ces notices ne se sont nullement sentis obligés d’adhérer à la classification tripartite, sans doute parce que les directives éditoriales n’étaient pas contraignantes. Il est vrai que ces articles relatifs aux arts et métiers n’impliquaient pas de prudence particulière vis-à-vis des autorités, contrairement à des articles qui critiquaient le pouvoir en place ou la religion.

Un « instrument de mélodie et d’harmonie » s’oppose à l’instrument qui ne peut offrir qu’un jeu mélodique. L’usage de l’instrument peut intervenir dans sa typologie, tel « instrument militaire », de même que les peuples qui s’en servent : « instrument des Grecs », « instruments des Hébreux », « instruments des negres » « instrument d’Egypte ». Enfin, la temporalité des instruments peut les qualifier : « instrument hors d’usage », « instrument ancien ».

En conclusion, il n’y a pas de parallélisme rigide entre les typologies exposées à l’article générique et celles qui sont utilisées dans les diverses notices des instruments. La variété de ces approches se reflète également dans d’autres ouvrages de l’époque et témoigne d’une préoccupation qui ne connaît pas encore de théorisation systématique, d’où le manque de standardisation.

2. Entrée générique versus planches Lutherie (seconde suite)

Il existe des disparités importantes entre la classification proposée par Diderot dans l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a) et les titres des planches de Lutherie (Recueil de Planches, t. V, 1767, Lutherie, seconde suite). Cet examen comparatif permet d’assister à la modification des typologies qui prennent place au cours de l’écriture et qui déstabilisent la classification énoncée. Il témoigne également des recherches de l’époque pour affiner la classification tripartite en subdivisions. Diderot s’est basé sur Brossard pour une approche générique des instruments, mais, impliqués dans la rédaction des entrées individuelles, lui-même et ses collaborateurs constatent qu’ils ne peuvent pas l’appliquer aveuglément. De même, les responsables des planches se sont heurtés à la présentation générique et s’en sont éloignés.

Remarquons tout d’abord que les trois premières planches (de la seconde suite Lutherie) comportent, dans leurs titres mêmes, une façon différente de classer les instruments :

  • Pl. I. Lutherie, Instruments Anciens, et Etrangers, de differentes sortes. (t. V, 1767)
  • Pl. II. Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, de Percussion. (t. V, 1767)
  • Pl. III Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, à cordes et à pincer. (t. V, 1767)

Ces terminologies classent les instruments selon leur époque (anciens ou modernes) ou leur répartition géographique (étrangers) ; elles ne tiennent plus compte de la manière dont les sons sont produits.

2a. Instruments à cordes

Les planches qui illustrent les instruments à cordes sont au nombre de dix dans la seconde suite Lutherie. Leurs intitulés montrent à la fois une terminologie en évolution et une modification des subdivisions par rapport au contenu de l’article générique :

  • Pl. III Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, à cordes et à pincer. (t. V, 1767)
  • Pl. IV. Lutherie, Instrumens qu'on fait parler avec une Roue. (t. V, 1767)
  • Pl. V. Lutherie, Suite des Instruments qu'on fait parler avec la Roue. (t. V, 1767)
  • Pl. XI Lutherie, Instruments qui se touchent avec l'Archet (t. V, 1767)
  • Pl. XIV Lutherie, Instruments à cordes et à touches. Clavecin. (t. V, 1767)
  • Pl. XV Lutherie, Instruments à cordes et à touches. Suite du Clavecin. (t. V, 1767)
  • Pl. XVI. Lutherie, Suite des Instruments à cordes et à touches ; avec le Psalterion Instrument à cordes et à baguettes. (t. V, 1767)
  • Pl. XIX Lutherie, Harpe Organisée. (t. V, 1767)
  • Pl XX Lutherie, Développemens et détails des Pédales de la Harpe. (t. V, 1767)
  • Pl XXI Lutherie. Console de la Harpe, détails des Leviers et des Ressorts qu'elle renferme. (t. V, 1767)

La planche III rassemble les instruments « à cordes et à pincer », et la planche XIV, les instruments « à cordes et à touches » : on se dirige vers notre terminologie moderne d’instruments à cordes pincées et de cordes pincées à clavier, si l’on accepte toutefois le glissement du terme « touches » vers celui de « clavier ».

Les planches IV et V introduisent une nouvelle subdivision, celle des instruments à roue, absente de l’entrée générique. Mais cet intitulé instaure une confusion dans la classification tripartite, car la planche IV illustre à la fois un instrument à cordes (orphéon) et un instrument à vent (serinette).

La planche V illustre des vielles à roue et modifie donc l’appartenance de cet instrument dans la classification : la vielle était présentée dans l’article générique comme un instrument à sautereaux ; elle se trouve ici parmi ceux à roue. Elle participe donc de deux typologies différentes en sein de l’Encyclopédie.

La planche XIV illustre les « instruments à cordes & à touches », avec le clavecin comme seul instrument représenté. Ici, simple changement de terminologie : des « sautereaux » de l’article générique, on passe aux « touches », celles qui forment le clavier ; on sent poindre la terminologie « instruments à clavier » qui ne porte pas encore ce nom. Le point de vue adopté est intéressant à relever : d’un côté, on part du mécanisme qui ébranle la corde (sautereau), tandis que de l’autre, on pointe l’élément qui fait bouger ce mécanisme (à savoir le doigt enfonçant la touche qui, par un système de levier, soulève le sautereau).

La planche XVI introduit, elle aussi, une subdivision supplémentaire avec le psaltérion, « instrument à cordes et à baguettes ». Ici, le psaltérion est passé de la troisième subdivision de l’article générique (percussion frappée par de « petits bâtons ») à la première subdivision (instrument à cordes) : le psaltérion se trouve lui aussi embrigadé dans deux typologies différentes. Remarquons que l’auteur anonyme de l’article PSALTERION , instrument de musique (t. XIII, 1765, p. 537b) est tout à fait conscient de cette ambiguïté, car il décrit l’instrument avec ses cordes, mais précise aussi que « quelques-uns » le classent parmi les percussions car ses cordes sont « touchées » par « une petite verge en fer ou bâton recourbé ». La roue et la baguette sont donc deux moyens mécaniques qui servent à faire résonner les cordes et qui n’étaient pas évoqués dans l’article générique.

Les intitulés des planches illustrant la harpe ne donnent aucune indication quant à sa typologie.

Enfin, les instruments représentés sur les planches permettent d’étendre la liste des instruments à cordes par rapport à ceux mentionnés dans l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a): lire, cithare, lire de viole, trompette marine chinoise (pl. I, instruments étrangers) ; mandore, cistre, cistre turc, colachon, pandore en luth (pl. III) ; et ceux qui appartiennent à deux typologies : orpheon et serinette (pl. IV) ; vielle en guitare et vielle en luth (pl. V) ; basse de viole, dessus de viole, pardessus de viole, sourdine, viole d’amour, contrebasse, poche (pl. XI) ; tympanon (pl. XVI). Certains instruments figurant sur ces planches ne font cependant pas l’objet d’entrées individuelles. → voir Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.

2b. Instruments à vent

Aucun des intitulés des onze planches consacrées à l’orgue (première suite de Lutherie) ne fait référence à sa typologie d’instrument à vent. Quatre autres planches sont réservées aux instruments à vent dans la seconde suite :

  • Pl. VI Lutherie, Instruments à vent. Musette. Cornemuse. (t. V, 1767)
  • Pl. VII. Lutherie, Instrumens Anciens, Modernes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche. (t. V, 1767)
  • Pl. VIII. Lutherie, Suite des Instruments à vent. (t. V, 1767)
  • Pl. IX. Lutherie, Suite des Instruments à vent. (t. V, 1767)

La planche VI illustre les instruments à vent et à soufflets, mais son intitulé ne le précise pas : ici pas de différence avec l’article générique. Quant aux planches VII à IX, l’intitulé ne signale que les instruments à vent, à bocal et à anche, alors qu’elles illustrent également les instruments que l’on « fait parler […] avec la bouche ». Un nouveau terme est introduit par rapport à l’article générique, celui de « bocal ». Trois figures ont pour légende le terme « bocal » : fig. 2a (bocal du cor-de-chasse) et fig. 3b (bocal de la trompette) de la planche VII et fig. 46 de la pl. IX (bocal du basson). Dans notre terminologie moderne, on parle d’embouchure pour le cor-de-chasse et la trompette et non de bocal ; ce terme est aujourd’hui réservé à ce petit conduit sur lequel s’adapte l’anche pour le basson et autres instruments à vent de grande taille. Dans l’Encyclopédie, le terme bocal a donc deux significations différentes. Malheureusement il n’y a pas d’article du domaine de la lutherie dans la nomenclature consacré au terme « bocal » qui pourrait nous donner de plus amples informations sur l’emploi spécifique du terme à cette époque.

Enfin, les instruments représentés sur les planches permettent d’étendre la liste des instruments à vent par rapport à ceux mentionnés dans l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a) : flûte des sacrifices, sifflet de Pan (pl. I) ; cornemuse (pl. VI) ; cor de chasse, cornet de chasse, double cornet, courteau, basse de cornet [à bouquin], dessus de cornet [à bouquin], cornet à bout [sic pour à bouquin], tournebout, saquebute, cornet à accords (pl. VII) ; fifre suisse, fifre à bec, flûtet et tambourin, flageolet d’oiseau, gros flageolet, dessus de flûte traversière, flûte d’accord, clarinette, chalumeau, flûte à bec (pl. VIII) ; basse de flûte traversière (pl. IX). Certains instruments figurant sur ces planches ne font cependant pas l’objet d’entrées individuelles. → voir Dossier transversal Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie.

2c. Instruments à percussion

Deux planches de Lutherie illustrent des instruments à percussion, mais seule l’une d’entre elles le spécifie dans son intitulé.

  • Pl. I. Lutherie, Instruments Anciens, et Etrangers, de differentes sortes. (t. V, 1767)
  • Pl. II. Lutherie, Instrumens Anciens et Modernes, de Percussion. (t. V, 1767)

Relevons une différence orthographique par rapport à nos usages actuels : le « cistre » écrit avec un c et non un s se trouve mentionné aux fig. 4 à 6 de la planche I, parmi les percussions. Il figure pourtant dans son orthographe actuelle à l’article SISTRE , (Musiq. anc.) (t. XV, 1765, p. 229b–230a) signé de Jaucourt. L’orthographe cistre (avec c) s’applique aussi à un instrument à cordes (voir ci-dessus). Si le terme se retrouve dans deux typologies différentes, il ne s’applique pas au même instrument, contrairement aux discordances mentionnées ci-dessus. Il n’y a pas d’entrée « cistre » dans la nomenclature de l’Encyclopédie.

Les cloches sont citées dans l’article Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a), mais elles ne sont pas illustrées dans la série Lutherie ; elles trouvent place dans les huit planches de la Fonte(s) des cloches (Recueil de Planches, t. V, 1767).

Enfin, les instruments représentés sur les planches permettent d’étendre la liste des instruments à percussion par rapport à ceux mentionnés dans l’article générique : cistre d’Isis, échelettes, régales (pl. I) ; tonnant, cimbales, castagnettes, tambourin à cordes, cimbale triangulaire, tambourin de Provence, rebube ou guimbarde, tambour de Biscaye ou de Basque, sonnantes (pl. II). Certains instruments figurant sur ces planches ne font cependant pas l’objet d’entrées individuelles.

Autres classifications à l’époque de l’Encyclopédie

Dans le Dictionnaire de Trévoux , le texte de l’article Instrument ne varie pas dans ses éditions de 1721, 1743 et 1752. La classification tripartite traditionnelle, instruments à cordes, instruments à vent et instruments de pèrcussion [sic] y reste inchangée ; elle ne propose aucune subdivision. Les instruments cités dans chaque catégorie sont plus nombreux que ceux de son homonyme dans l’Encyclopédie.

  • Pour les cordes : le monocorde, la trompette marine, le colachon, le rebec, les violons, les violes, la lyre, la mandore, la pandore, le luth, le tuorbe [sic pour théorbe], le cistre, le psaltérion, la guitare, l’épinette, le clavessin [sic], le manicordion, la vielle.
  • Pour les vents : les orgues, les flutes, les hautbois, la cornemuse ou chalémie, la musétte [sic], les chalumeaux de Pan, le flageolet, les cors, trompes, trompettes, saquebutes, le serpent, le cornet à bouquin, les fagôts, bassons, cèrvelas [sic], tournebouts, &c.
  • Pour les pércussions : les tambours, les cloches, carillons, cymbales, claquebois, rebubes ou trompe d’acier. Ce sont donc 41 instruments modernes qui sont cités ici, contre 24 chez Diderot.

La classification des instruments de musique en neuf subdivisions telle que l’expose Diderot (contenu emprunté à Brossard, nous l’avons dit) n’est jamais discutée frontalement dans les débats de l’époque. Or, depuis le début du XVIIIe siècle, les recherches acoustiques des physiciens sur les instruments de musique, principalement sur les instruments à vent et les instruments à cordes, ont porté une grande attention à la typologie des instruments, donc à leurs classifications, d’autant que le Traité des systèmes de Condillac (1749) passionne les esprits.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et au début du siècle suivant, plusieurs nouvelles classifications des instruments de musique sont proposées sans qu’aucune d’entre elles ne fasse référence aux autres. Toutes ont leur originalité.

Dans son Notionaire (1761), François-Alexandre Garsault classe les instruments de musique selon leur usage et établit de la sorte six catégories assez originales et dont il est le seul à utiliser :

  • « Instrumens des grands concerts »,
  • « Instrumens d’église »,
  • « Instrumens de guerre & de chasse »,
  • « Instrumens pour la danse »,
  • « Instrumens d’amusement »,
  • « Instruments hors d’usage, mais qui peuvent y revenir ».

Dans le Supplément à l'Encyclopédie (t. 3, 1777), à l’article Instrumens de musique, Frédéric de Castillon emprunte sa classification à l’intitulé d’une des planches de l’Encyclopédie : instruments anciens, instruments modernes et instruments étrangers. Un classement selon le mode de vibration lui semble même incompréhensible : « Il faut que j’avoue ingénument que je ne comprends pas en quoi consiste la différence de tous ces instruments, quant au principe du son ».

Benjamin de Laborde utilise la division tripartite traditionnelle qu’il applique, d’une part, aux instruments anciens et, d’autre part, aux instruments modernes, d’où la mention de six classes distinctes dans son Essai sur la musique (t. 2, 1780).

Dans l’Art du faiseur d’instruments de musique de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785), Jacques Lacombe organise, de manière très subtile, la présentation des instruments en quatorze chapitres dont chacun répond à une typologie spécifique des instruments. Enfin, Hassenfratz multiplie les subdivisions à l’intérieur de la classification tripartite dans l’ Encyclopédie méthodique. Physique (t. 3, 1818). Pour une analyse détaillée de ces classifications, nous renvoyons à notre étude ( Haine, 2015 ) .

Le XIXe siècle sera, à son tour, riche en propositions diverses de classifications d’instruments de musique pour aboutir à la classification universelle et systématique de Victor Charles Mahillon (1880) qui reste encore d’application, parallèlement à celle de Hornbostel & Sachs (1914). Remarquons que la problématique de la classification des instruments constitue aujourd’hui l’un des domaines étudiés par les organologues.

Bibliographie (sources secondaires)

Malou Haine, « Les classifications des instruments de musique en France de 1761 à 1819 et l’élaboration d’une terminologie organologique » , Musique, Images, Instruments , 15 (2015) , p. 188-205 [consulter]


1 : Mersenne est conscient qu’il est possible de subdiviser les instruments de diverses manières. Dans sa présentation générale des instruments, il donne l’exemple des cordes qui peuvent se diviser en instruments avec ou sans manche, en instruments munies de cordes en boyau ou de cordes en métal. Dans la section des instruments à manche, il y a ceux pourvus de touches et ceux qui n’en ont pas. Lorsqu’il parle des instruments à vent, Mersenne reconnaît là aussi qu’il y a plusieurs manières de diviser ces instruments selon leur usage, selon qu'ils servent ou non dans un même concert, selon l’époque où on les a inventés, ou encore selon le nombre de leurs trous latéraux ; certains ont des « bocals, ou bouquins, que l’on peut appeler emboucheures, & les autres des tampons, des lumieres ou des anches ».
2 : Notre première réaction, lecteur moderne du XXIe siècle, est de croire à une coquille pour le mot « sistre ». Mais le fait que l'instrument cité est frappé par « une plume » ne permet pas cette interprétation.
3 : Les vedettes sont en italien, mais les définitions sont en français.
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