par Malou Haine, publié le 04/10/2017

L’article se compose de trois petits paragraphes. Le premier fournit une définition succincte de l’appareil (ancêtre de notre métronome actuel), le second donne l’étymologie grecque du terme composé de son et mesure, le troisième consiste en l’avis personnel de Diderot. Selon lui, ce type d’appareil n’a aucun avenir, ce qui justifie qu’il ne le décrit pas. Ce paragraphe se termine par la mention bibliographique du mémoire déposé en 1701 par Joseph Sauveur à l’Académie royale des sciences.

Remarquons que deux autres termes décrivant des appareils semblables sont présents dans la nomenclature de l’Encyclopédie : CHRONOMETRE , (Musique.) (t. III, 1753, p. 401b–402a), signé de Rousseau, et MÉTROMETRE , (Musiq.) (t. X, 1765, p. 471a), non signé. Commun aux trois articles, notre dossier transversal Les précurseurs du métronome dans l'Encyclopédie développe le contexte historique, le lexique technique, les indications grammaticales et orthographiques, les avatars des trois termes dans des dictionnaires postérieurs à l’Encyclopédie.

Auteur

Ce texte, dont le début vient de la Cyclopædia de Chambers (1re édition, 1728), marque une intervention plutôt exceptionnelle de Diderot dans les articles ayant pour désignant musique. → voir à ce propos ( Cernuschi, 2000 , p. 117, n. 122). Ces derniers ont généralement été distribués à Rousseau. L’intervention de Diderot s’explique probablement par référence à l’un de ses Mémoires sur différens sujets de mathématiques (1748), dans lequel l’encyclopédiste émet d’importantes critiques sur ce type d’appareil. Depuis le début du siècle, plusieurs appareils pour mesurer le temps musical ont été proposés par leur inventeur sous des noms différents : le chronometre par Étienne Loulié en 1696 ; l’echometre par Joseph Sauveur en 1701 ; le métrometre par Onzenbray en 1732. Mais c’est sous celui de chronométre (écrit avec un accent aigu) que Diderot émet ses observations : six pages sont réservées aux « Observations sur le Chronométre » (p. 192-197).

Comme Rousseau aurait normalement dû rédiger cet article-ci, mais que Diderot en est l’auteur, on peut se demander s’ils ont décidé de se répartir ECHOMETRE , en Musique (t. V, 1755, p. 265b) et CHRONOMETRE , (Musique.) (t. III, 1753, p. 401b–402a) ? Mais pourquoi alors le premier renvoie-t-il au second, alors que le second ne renvoie pas au premier ? C’est là un indice de la « manufacture » de l’Encyclopédie : il semble ne pas avoir eu de décision systématique pour l’usage de renvois croisés, du moins dans certaines matières, choix laissés à l’apprécaition de chacun des rédacteurs.

Dans cet article-ci, Diderot estime ne pas devoir donner plus de renseignements sur ce type d’appareil, « parce qu’on n’en fera jamais aucun usage ». Pourtant, diverses recherches se poursuiveront dans la seconde moitié du XVIIIe siècle afin de trouver un appareil satisfaisant ; citons, entre autres, le pendule musical de Henri-Louis Choquel (1762), celui d’un nommé Gabory (1770), le chronomètre de Jean-Baptiste Davaux (1784), le chronomètre musical d’Abraham-Louis Breguet (1798), le plexichronomètre des frères Renaudin, sans compter quelques autres propositions anglaises et allemandes. C’est finalement le métronome inventé par le Hollandais Dietrich Nikolaus Winkel, mais breveté par Johann Nepomuck Maelzel (1772-1838) en 1816 qui éclipsera toutes les inventions précédentes et qui sera unanimement adopté.

Domaine

Seul le domaine Musique est mentionné, alors que celui des Arts mécaniques et de l’Horlogerie sont également concernés, mais pas dans le traitement de l’article qui n’aborde pas les aspects techniques de l’appareil.

Enjeux de l’article

À l’époque, les recherches relatives à la détermination de la mesure du mouvement en musique s’inscrivent parmi des recherches beaucoup plus larges qui concernent la mesure du temps et ses nombreuses applications (horloges et autres inventions). Comme l’atteste le contexte historique de notre dossier transversal Les précurseurs du métronome dans l'Encyclopédie, on tente de mettre au point un appareil capable de fixer avec précision le mouvement dans lequel doit se jouer un morceau de musique tel que le souhaite le compositeur et, en corollaire, la manière d’indiquer sa vitesse sur une partition. En d’autres termes, on recherche le moyen de préciser la durée exacte d’une pièce de musique, car les termes andante, allegro, etc. sont considérés comme trop vagues.

L’autre enjeu est lié au contenu même du texte, à savoir la prise de position de Diderot : la musique est-elle un art où les aptitudes naturelles et les compétences acquises des musiciens sont primordiales et essentielles, ou est-ce un art qui peut être maîtrisé par l’intermédiaire d’appareils techniques ?

Rédaction et sources compilées

Le premier paragraphe consiste en une paraphrase de la définition de l’échometre donnée par Sauveur dans son mémoire déposé à l’Académie des Sciences en 1701 : « L’Echomtre est une regle sur laquelle sont plusieurs lignes divisées, qui servent d’Echelles pour mesurer la durée des Sons, & pour trouver leurs Intervalles & leurs Rapports » ( Joseph Sauveur, 1704 , p. 317). Cette définition est reprise par la Cyclopædia de Chambers en 1728, puis retraduite ici, ainsi que le deuxième paragraphe formé d’une seule phrase.

Diderot emprunte le contenu du troisième paragraphe de cet article à ses Mémoires sur différens sujets de mathématiques (1748), et plus précisément à ses « Observations sur le Chronométre » (écrit avec un accent aigu) (p. 192-197). Six pages lui sont consacrées à la fin de son quatrième mémoire sur le projet d’un nouvel orgue mécanique. Exposons brièvement son argumentation. Diderot commence par défendre l’idée que

le seul bon Chronométre que l’on puisse avoir, c’est un habile Musicien qui ait du goût, qui ait bien lû la Musique qu’il doit faire exécuter, & qui sache en battre la mesure.

Il rejette tous les appareils inventés jusqu’alors (mais il mentionne pas leur nom) qui ont fait

du Musicien & du Chronométre deux machines distinctes, dont l’une ne peut jamais bien assujettir l’autre.

Diderot considère ici l’homme comme supérieur à la machine. Il propose une méthode – et non un appareil précis – qui fixerait à jamais le mouvement d’un morceau de musique. On mentionnerait un chiffre à côté de l’indication de mouvement, par exemple gigue 11, gigue 12, etc., chiffre correspondant à la durée totale de la pièce. On noterait ensuite chacune des mesures du morceau (ici une gigue) sur le cylindre mécanique, fixant une fois pour toutes la pièce dans son interprétation. Diderot émet seulement le principe de sa méthode, mais laisse « à un bon horloger » le soin de fixer la rotation du cylindre pour qu’elle corresponde à la durée de temps souhaitée.

Renvois bibliographiques

Pour de plus amples informations, Diderot renvoie au mémoire déposé à l’Académie royale des Sciences de Paris par Joseph Sauveur en 1701. Entre le 5 février et le 9 avril 1701, ce physicien dépose plusieurs propositions regroupées sous le titre « Système général des Intervalles des Sons » : les sections IV à VI portent sur l’echometre, ( Joseph Sauveur, 1704 , p. 317-335). Ces différentes sections sont respectivement intitulées :

  • Section. IV. Division & usage de l’Echometre général ;
  • Section V. Application du Systême & de l’Echometre general à tous les Sytêmes de Musique ;
  • Section VI. Application du Systême general & de l’Echometre general aux Voix & aux Instrumens de Musique.

La description de l’échelle du chronometre de Loulié se trouve dans la section IV.

Le physicien Joseph Sauveur (1653-1716) a créé l’expression acoustique musicale pour qualifier les différentes recherches qu’il effectue sur le son et qu’il expose dans plusieurs mémoires déposés à l’Académie des sciences de Paris entre 1700 et 1713. Ses travaux s’inscrivent dans la continuité des recherches du père Marin Mersenne (1588-1648). Ils ont une renommée importante et influencent Jean-Philippe Rameau (1683-1764) dans ses ouvrages théoriques sur l’harmonie.

Diderot mentionne également Étienne Loulié (1654-1702), ce maître de musique au service de la princesse de Guise, inventeur d’un chronometre (1696). Loulié décrit son invention dans son ouvrage Elements ou principes de musique (p. 81-85) et en donne un dessin. Il est également l’auteur d’une autre invention, le sonometre, dispositif pour accorder les clavecins approuvé dans le volume d'Histoire de l'Académie des sciences pour l'année  1699 ( p. 121 ) ; voir aussi la description et la planche publiées dans le premier tome des Machines et inventions approuvées par l'Académie royale des sciences (1735).

Malgré les différentes appellations données à l’époque aux inventions similaires, celle de chronomètre, déjà présente dans la Cyclopædia de Chambers en 1728 (chronometer), s’impose comme le terme générique, accompagné de l’adjectif musical, jusqu’à ce qu’il soit détrôné par le terme métronome au début du XIXe siècle. → voir Contexte historique ci-dessus.

Correspondances internes à l’Encyclopédie

L’article renvoie au Chronometre, mais ne précise pas lequel des deux mots vedette de l’Encyclopédie est concerné. Il s’agit évidemment de celui relatif à la musique rédigé par Rousseau et offrant de plus amples informations sur l’invention : CHRONOMETRE , (Musique.) (t. III, 1753, p. 401b–402a) et non de l’article Chronometre , (Horlog.) (t. III, 1753, p. 402a)  marqué de la signature de J. B. Le Roy.

Il manque un renvoi à l’article anonyme MÉTROMETRE , (Musiq.) (t. X, 1765, p. 471a), autre appareil similaire à l’époque. C’est là un indice de la fabrication de l’Encyclopédie  : les trois articles n’ont pas été conçus comme un ensemble. Ils sont écrits par des auteurs différents.

Un renvoi à l’article Tems , en Musique (t. XVI, 1765, p. 121a–122a) eût été utile, d’autant que Rousseau qui signe cet arricle avait déjà rédigé tous ses articles sur la musique avant même la publication du premier volume.

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Rousseau reprend le texte de l’echometre quasi verbatim dans son Dictionnaire de musique (1768), à deux exceptions près. La première phrase est plus explicite chez ce dernier : « Espèce d’Echelle graduée, ou de Règle divisée en plusieurs parties, dont on se sert pour mesurer la durée ou la longueur des Sons, pour déterminer leurs valeurs diverses, & même les rapports de leurs Intervalles. » Le pronom personnel « Nous » qui ouvre le troisième paragraphe dans l’Encyclopédie est remplacé par Rousseau par un « Je ». Le terme ne figurait pas dans la liste initiale rendue par Rousseau en 1749, mais bien dans celle de la seconde série d’additions prévues pour son Dictionnaire, ainsi que l’a analysé Alain Cernuschi ( Cernuschi, 2000 ).

Le Grand Vocabulaire françois (t. VIII, 1769) reprend la définition de tête.

Le Dictionnaire de Trévoux de 1771 reprend les premier et deuxième paragraphes de Diderot qu’il fait précéder de la phrase suivante : « Terme de Mathématique, d’Acoustique & de Musique » : le terme s’inscrit ainsi dans trois domaines, là où Diderot n’en indique qu’un seul, celui de la musique, tout comme Chambers. Le Trévoux reprend donc seulement la partie empruntée à Chambers.

L’ Encyclopédie d'Yverdon reprend le texte verbatim (t. XV, 1772, p. 118-119).

La version remaniée de l’artice qui figure dans le Dictionnaire de musique de Rousseau (1768) se retrouve aussi à l’identique dans l’ Encyclopédie méthodique. Musique (t. 1, 1791, p. 486), de même que dans l’ Encyclopédie méthodique. Physique (t. 3, 1819, p. 28-29).

Bibliographie (sources secondaires, ordre chronologique)

Frédéric Héllouin, « Histoire du métronome en France » Congrès d’histoire de la musique tenu à Paris à la Bibliothèque de l’Opéra du 23 au 29 juillet 1900 (VIIIe section du Congrès d’Histoire comparée). Documents, mémoires et vœux,, Imprimerie Saint-Pierre, Solesme, 1901 , p. 264-269 .

Rosamond E.M. Harding, The Metronome and it’s [sic] Precursors, Gresham Books, London, 1938 .

Alain Cernuschi, Penser la musique dans l'"Encyclopédie" : étude sur les enjeux de la musicographie des Lumières et sur ses liens avec l'encyclopédisme, H. Champion, Paris, 2000 . [Sans pour autant analyser l’article dans ses détails, Alain Cernuschi aborde la question de cet article au désignant en musique, normalement pris en charge par Rousseau alors que c’est ici Diderot qui le rédige ( Cernuschi, 2000 , p. 117, n. 122). Il remarque que Diderot ne signe que deux articles avec le désignant isolé musique : celui-ci et Batard , en Musique (t. II, 1752, p. 139a) .]

Alain Cernuschi, « Entre les articles musicaux de l'Encyclopédie et le Dictionnaire de musique : une "Table des mots" énigmatique » , Bulletin de l'Association Jean-Jacques Rousseau Neuchâtel , 55 (2000) , p. 27-60 [consulter] .

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