par Malou Haine, publié le 04/10/2017

Diderot donne une définition lexicale du terme, stipule deux règles de la communauté (corporation), puis explique brièvement ce qu’on entend par chauderonnier au sifflet. L’auteur s’enquiert du manque de règlement disponible dans ce métier, alors que la matière dont ils traitent (cuivre) est largement répandue auprès du public.

Auteur

L’article porte l’astérique, marque de Diderot.

Domaine

Il n’y a pas de désignant, mais l’article fait partie du domaine de la Chaudronnerie. Comme il y est question d’un instrument de musique, le sifflet [de Pan], on pourrait également considérer que le domaine Lutherie est concerné.

Deux orthographes pour un même mot : chauderonnier ou chaudronnier ?

Diderot utilise une seule orthographe, celle de chauderonnier. Pourtant le Dictionnaire françois de Richelet fournit déjà en 1680 à la fois chauderonnier et chaudronnier sous une seule et même vedette d’adresse.

Furetière utilise l’orthographe chauderonnier dans son  Dictionnaire universel (1690), de même que le Dictionnaire de l'Académie françoise en 1694, mais celle-ci recense le terme sous chaudronnier en 1762. Le Dictionnaire de Trévoux n’introduit cette dernière orthographe que dans son édition de 1771.

Dans l’Encyclopédie, il n’y a pas d’entrée pour chaudronnier, mais cette orthographe apparaît dans une dizaine d’articles contre une quarantaine pour chauderonnier. En revanche, dans les planches de ce métier Pl. IV. Chaudronnier Faiseur d'Instruments. (t. III, 1763), la seule orthographe chaudronnier est utilisée, ce qui atteste d’une orthographe stabilisée en une dizaine d’années. Chauderonier, avec un seul n, est utilisé une seule fois.

Chauderonnier semble bien être une corruption du terme, d’autant que l’orthographe chaudronnier est la plus ancienne (depuis 1420) et est seule utilisée dans les Statuts de la Communauté des Chaudronniers .

Le Trésor de la langue française informatisé (site TLFI) fait remonter le terme chaudronnier à 1277. Cette même plateforme ne cite pas l’autre orthographe.

Enjeux de l’article

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. On pourrait considérer que cet article comprend un enjeu caché. Au vu des divers procès entre communautés, Diderot n’ignore certainement pas que les chaudronniers revendiquent pour eux seuls, et selon leurs statuts, le droit de fabriquer des objets en cuivre, y compris des cors, trompettes et timbales. Diderot ne mentionne aucun instrument de musique fabriqué par les chaudronniers, alors que le Dictionnaire françois de Richelet (1680) cite nommément les « cors, cornets, serpens & trompettes ».

Dès lors, ne peut-on pas supposer que le fait de passer sous silence la catégorie des chaudronniers-faiseurs d’instruments de musique est une prise de position volontaire en faveur du glissement en train de s’opérer, à savoir que ces fabricants souhaitent être rattachés aux facteurs d’instruments de musique et non plus aux chaudronniers ? → Voir plus avant : Renvois internes à l’Encyclopédie absents.

A contrario de cette hypothèse, Cor , ( Chauder. & Chasse. ) (t. IV, 1754, p. 193b–194a), également signé par Diderot, affiche sans hésitation le métier de ses fabricants : « Ce sont les chauderonniers qui les font ». Leblond, auteur de l’article Trompette , (Art. milit.) (t. XVI, 1765, p. 696a–b), passe sous silence l’artisan qui les fabrique, de même que l’auteur anonyme de Trompette , (Art. milit.) (t. XVI, 1765, p. 696a–b)  ; il en va de même pour l’article non signé TYMBALE la , (Art. milit.) (t. XVI, 1765, p. 775a–b).

On peut aussi considérer que la spécialisation entre chaudronniers s’effectue justement en ce milieu du XVIIIe siècle et qu’il est trop tôt pour que Diderot puisse en parler. → Voir ci-dessous Correspondances internes à l’Encyclopédie.

Rédaction et source(s) compilée(s)

La définition générale du chaudronnier donnée par Diderot est plus étendue que celle du Dictionnaire de Trévoux (1721) : « Artisan qui fait, ou qui vend des chauderons, des réchauts, & autres utenciles [sic] de cuisine » ; notons ici l’emploi du terme « artisan » et non « ouvrier ». La définition est également plus restreinte dans le Dictionnaire universel de commerce de Savary (1723) : « Celui qui fait & qui vend des chauderons, & autres ustencilles, & batteries de cuisine ». La Cyclopædia (1741) n’a pas prévu d’entrée à « boilermaker ».

Quant à la définition des chauderonniers au sifflet, elle repose en partie sur celle donnée par le Dictionnaire de Trévoux en 1752 dans lequel cette entrée spécifique fait son apparition, alors que la seule vedette de Chauderonnier était présente dans ses éditions antérieures (1721, 1732 et 1743) :

« Chauderonnier au siflet [sic]. On nomme ainsi les chauderonniers des Provinces, particulièrement d’Auvergne, qui courant la campagne, se servent d’un siflet à l’antique, pour avertir les habitans des lieux où ils passent, de leur apporter à raccommoder les ustensiles de cuisine. »

Cette définition repose elle-même sur celle du Dictionnaire universel de commerce de Savary (t. 1, 1726, p. 690) :

« Chauderonnier au siflet [sic]. On nomme ainsi, en France, les chauderonniers des Provinces, particulièrement d’Auvergne, d’où il en vient la plus grande quantité, qui courant la campagne, leur petite boutique, & leur bagage sur le dos, se servent d’un siflet à l’antique, pour avertir les Habitans des petites Villes & des Villages où ils passent, de leur apporter à raccommoder les ustensiles & batterie de cuisine, de cuivre, ou de fer, qui en ont besoin. »

Distinction entre chaudronniers sédentaires et chaudronniers ambulants

Bien que ces termes n’apparaissent pas dans l’article analysé, la définition donnée par Diderot laisse sous-entendre que parmi les chaudronniers se trouvent des chaudronniers au sifflet. Il ne précise cependant pas que les premiers sont sédentaires et travaillent en ville dans leur boutique, tandis que les seconds sont ambulants et parcourent les campagnes. Les premiers fabriquent et vendent des objets en cuivre, les seconds les vendent et les réparent, mais ils ne les fabriquent pas.

Le Dictionnaire universel de commerce de Savary (1723 et éditions suivantes) les distingue clairement par deux notices : CHAUDERONNIER et Chauderonnier au sifflet. Pour les premiers, il donne des informations sur les statuts de la communauté. Pour les seconds qui viennent principalement d’Auvergne, il définit leurs activités et précise leurs prérogatives et restrictions. Chomel amplifie la description dans son Dictionnaire œconomique (suppl., t. 1, 1741, p. 102) :

« Il y a des chauderonniers qu’on peut appeler ambulans, qui courant la campagne, leur petite boutique & bagage sur le dos, se servent d’un sifflet à l’antique de sept tuiaux pour avertir les habitants des petites Villes & des Villages où ils passent, de leur apporter à racommoder les utenciles & batteries de cuisine de cuivre ou de fer, qui en ont besoin. La plupart de ces chauderonniers ne font que le vieux, il y en a pourtant quelques-uns qui vendent du neuf, mais ceux-ci ont des chevaux de somme chargés de grands paniers d’osier, où ils mettent leurs marchandises & leurs outils. Il est défendu à tous ces chaudronniers 1 coureurs, de siffler, de racommoder les ouvrages de chauderonnerie à Paris & dans les autres Villes du Roiaume, où les chauderonniers sont en corps de jurande ; à l’égard de ceux qui vendent du neuf, ils y sont traités comme marchands forains. La chauderonnerie fait une partie du commerce de la mercerie. »

Il y a donc bien une hiérarchie entre ces deux catégories : les chaudronniers sédentaires sont protégés par les statuts de leur corporation, tandis que les autres sont assimilés aux marchands forains dont le champ d’activités est plus restreint. D’autres appellations circulent pour désigner les chaudronniers ambulants : à côté de chaudronnier au sifflet qui semble l’expression la plus courante, on trouve également chaudronniers forains, chaudronniers colporteurs, chaudronniers de campagne ou chaudronniers de province. On les appelle aussi, de manière plus populaire ou ironique drouineurs. → Voir Dossier critique de DROUINEUR , terme de Chauderonnier (t. V, 1755, p. 148b).

Le vieux terme français maignan et ses variantes orthographiques (maagnans, maignens, maingnens, etc.) sont également utilisés dans certaines régions (voir le Dictionnaire ancien français & dialectes de Godefroy (t. 5, 1881) et le Dictionnaire des métiers de Franklin (1906). → voir plus de détails dans le dossier critique de l’article Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a).

Divers termes pour un même instrument

On dénombre une dizaine de synonymes pour le sifflet de chaud(e)ronnier : fistula des Anciensflûte de Pan – syrinx (syringe) – sifflet de Pan - sifflet à l’antique – fretel (frestel) – fretiau - flûte des bergers – sifflet des modernes. L’emploi de ces différents termes n’est cependant pas totalement équivalent : le terme sifflet et ses expansions nominales s’appliquent à l’instrument du chaudronnier. Syrinx est réservé à l’instrument antique. Flûte de Pan apparaît plutôt comme un terme générique. Fretel, frestel, fretiau appartiennent au vieux français et sont restés en usage dans les dialectes de certaines régions.

Seuls Syrinx et Sifflet de Pan figurent dans la nomenclature de l’Encyclopédie : → voir les dossiers critiques de SYRINX , ( Littér. & Mythol. ) (t. XV, 1765, p. 774a) et de Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a).

Il n’y a cependant pas de renvois internes au sein de l’Encyclopédie entre ces deux termes. Le terme flûte de Pan n’apparaît qu’une seule fois dans l’ensemble des volumes de l’Encyclopédie, à savoir dans l’article Fistule ou Petite Flute , (Luth.) (t. VI, 1756, p. 831b).

Quel est ce sifflet dont se sert le chaudronnier ambulant ? Diderot parle de sifflet et non de sifflet à l’antique, comme l’indiquent pourtant le Dictionnaire de Trévoux (éditions de 1721, 1732 et 1743) et le Dictionnaire universel de commerce de Savary (1723 et éditions suivantes). Cette suppression de l’expansion du groupe nominal réduit la possibilité d’identifier, à la seule lecture de l’article de l’Encyclopédie, l’instrument par lequel les chaudronniers s’annoncent dans les villes. Sifflet de chaudronnier apparaît dans le Dictionnaire françois de Richelet (1680).

Savary en apporte une description succincte mais suffisante pour reconnaître l’instrument :

« Le Sifflet des chauderonniers est la Fistula des Anciens ; c’est à dire un instrument composé de plusieurs tuyaux inégaux, ordinairement de sept ; tels que les Poëtes, les Peintres, & les Sculpteurs ont coûtume de représenter la flûte du Dieu Pan ».

En d’autres termes, il s’agit de l’instrument que nous désignons aujourd’hui par flûte de Pan ou syrinx, mais qui, utilisé par le chaudronnier, s’appelle alors sifflet de Pan. Le Dictionnaire œconomique de Chomel (1741), précieux pour les définitions de métiers, mentionne un sifflet à l’antique de sept tuyaux dont se servent les chaudronniers.

Mersenne dans l’ Harmonie universelle (t. 1, 1636, Livre V, p. 227-228) utilisait déjà les termes de flûte de Pan et sifflet de chaudronnier sans distinction apparente : ces

« flustes de Pan, dont usent les Chaudronniers […] On l’appelle ordinairement sifflet de chaudronnier, par ce que ceux qui sont de ce mestier en usent & en sonnent par les ruës ».

Nous distinguons aujourd’hui deux types de syrinx. La description de Savary correspond à la syrinx de type polycalame, celle faite de tubes assemblés les uns à côté des autres. Le Dictionnaire de Trévoux (1752) précise la composition formelle du sifflet de chaudronnier fait de sept petits tuyaux en fer blanc. Le Dictionnaire de l’Académie françoise (1740) ne comprend pas cette description, bien qu’il donne l’exemple lexical du Sifflet de chaudronnier.

Un autre article de l’Encyclopédie apporte à son tour un complément d’information. Outre l’aspect formel de l’instrument, l’article anonyme Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) explique l’origine de la première partie du groupe nominal (et non de son expansion), à savoir son usage aux mains des chaudronniers. De plus, il fournit un élément sur une des tâches traditionnelles que le chaudronnier ambulant partage avec le châtreur de cochons :

« On a appelé cet instrument sifflet de Pan, parce qu’on le lui voit pendu au col, ou à la main, dans quelques statues antiques. Ce sifflet passa du dieu Pan, à l’usage des chauderonniers ambulants dans nos provinces, qui vont achetant la vieille vaisselle de cuivre, & châtrant les chiens & les chats ».

Pour cet attribut professionnel des chaudronniers châtreurs d’animaux, et les nuances de signification, au XVIIIe siècle, entre le sifflet de Pan et la syrinx, → voir Dossier critique de Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a).

Jacques Lacombe dans l’Art du faiseur dinstrumens de musique, et Lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (1785, p. 165) fournit encore deux autres vocables pour cette flûte de Pan ou sifflet des chauderonniers : fretel ou fretiau. Ces deux derniers appartiennent davantage au vieux français ou à un emploi dialectal. Ils ne sont pas recensés dans l’Encyclopédie ni dans le Trévoux de 1740, tandis que son édition de 1743 contient FRESTEL : « Vieux mot, qui signifie la flute à sept tuyaux que les Poëtes donnent à Pan ».

Au début du XIXe siècle, la flûte des bergers ou sifflet des modernes apparaissent comme autres synonymes pour désigner cet instrument : l’ Encyclopédie méthodique. Explication planches Antiquités (1824, p. 250) décrit en effet une « flûte à plusieurs tuyaux ou syringe [sic] de Pan, ou flûte des bergers, le sifflet des Modernes ». La connaissance plus grande des monuments de l’Antiquité qui a permis de constater cette ressemblance entre le sifflet et la syrinx a sans doute fait passer, dans le langage courant, l’expression sifflet de Pan pour désigner l’instrument entre les mains des bergers.

Nous voici donc en présence d’une dizaine de synonymes (y compris les appellations dialectales) pour un même instrument ; celui de syrinx (syringe) semble nettement réservé à l’instrument antique décrit dans les textes anciens.

Illustration d’un chaudronnier au sifflet

Parmi les Cris de Paris comprenant 39 gravures illustrant les métiers de rues dessinées et gravées par les frères Bonnart vers 1676 se trouve Le Chaudronier [sic]. Celui-ci tient dans sa main droite un sifflet de Pan (flûte de Pan dans notre terminologie moderne) : c’est donc bien le chaudronnier au sifflet ou chaudronnier ambulant qui est ici représenté.

Jean-Baptiste Bonnart, Le Chaudronier [sic], gravé par Henri Bonnart, extr. Les Cris de Paris, vers 1676 (BnF, Estampes, RESERVE QB-201 (67)-FOL)

Remarquons que ce chaudronnier ambulant tient dans sa main gauche et sous son coude droit des ustensiles de cuisine. Il porte sur son dos un havresac de cuir appelé drouine, et à ce titre, les chaudronniers en boutique les appellent ironiquement drouineurs, terme déjà évoqué ci-dessus → voir aussi Dossier critique DROUINEUR , terme de Chauderonnier (t. V, 1755, p. 148b) .

Le sifflet de Pan de ce chaudronnier est une flûte de Pan de type monoxyle 2 , dont les tuyaux sont forés dans une seule pièce, probablement en fer blanc (mais elle peut se construire en bois, en ivoire ou en corne). De très petite taille puisqu’elle tient dans une seule main, elle produit une mélodie suraiguë, d’où ce son « rude à l’oreille » évoqué dans le quatrain placé sous le dessin.

Avec sa voix de loup garou,

Et son siflet rude à l’oreille ;

Chacun dit qu’il sçait à merveille,

Mettre la piece auprez du trou

Ce quatrain se prête à diverses interprétations. Littéralement, le texte reconnaît l’habileté du chaudronnier par ses deux derniers vers : « Chacun dit qu’il sçait à merveille… ». Mais le dernier vers peut également se comprendre comme une facétie tournant en dérision le manque de dextérité du chaudronnier si l’on considère qu’il s’agit d’une antiphrase ironique : « Mettre la piece auprez du trou » évoquerait alors la maladresse du chaudronnier pour réparer les ustensiles qui lui sont confiés. C’est l’explication avancée par Furetière dans son Dictionnaire universel (1690) :

« On reproche aux Chauderonniers, qu’ils sont sujets à mettre la pièce auprés du trou : ce qui se dit figurément de ceux qui racommodent [sic] mal quelques besogne que ce soit ».

Cette interprétation est reprise dans le Dictionnaire de Trévoux (1721 et 1771).

De son côté, l’anthropologue Claudine Vassas que nous avons consultée 3 confirme l’habileté du chaudronnier ambulant, artisan utile dans les campagnes et redouté, ce qu’elle appelle un « homme rouge ». Elle y voit une sauvagerie vocale et musicale — « sa voix de loup garou » et « son sifflet rude à l’oreille » — expressions qui font écho à ses capacités sexuelles auprès des femmes (« Mettre la piece auprez du trou »).

Correspondances internes à l’Encyclopédie non signalées

Trois renvois auraient pu compléter les données sur le chaudronnier au sifflet. Tout d’abord DROUINEUR , terme de Chauderonnier (t. V, 1755, p. 148b), ce nom donné en dérision à ces chaudronniers ambulants par leurs confrères qui travaillent en boutique. Le renvoi à Sifflet de Pan , (Luth. anc. & mod.) (t. XV, 1765, p. 182a) aurait fourni des détails formels absents du présent article, de même que le renvoi à SYRINX , ( Littér. & Mythol. ) (t. XV, 1765, p. 774a), synonyme de flûte de Pan. → voir les dossiers critiques de chacun de ces articles.

Un renvoi aurait également été possible aux quatre planches de la série Chaudronnier (Recueil de planches, vol. III, 1763) qui illustrent trois catégories de chaudronniers : le chaudronnier-grossier (pl. I et II) : Pl. I. Chaudronnier Grossier. (t. III, 1763), Pl. II. Chaudronnier Grossier. (t. III, 1763) ; le chaudronnier-planeur Pl. III. Chaudronnier Planeur. (t. III, 1763) et le chaudronnier-faiseur d’instruments Pl. IV. Chaudronnier Faiseur d'Instruments. (t. III, 1763).

Notons au passage la différence d’orthographe entre le discours (chauderonnier) et les planches (chaudronnier). Ces trois catégories de chaudronniers ne sont pas définies dans les statuts de leur communauté, mais correspondent à une spécialisation qui se développe précisément en ce milieu du XVIIIe siècle, ce dont témoignent les planches. Bien que cela ne soit pas indiqué, ces distinctions entre catégories de chaudronniers s’appliquent uniquement aux chaudronniers travaillant en boutique qui fabriquent les objets et non aux chaudronniers ambulants qui se limitent à la vente ou aux réparations.

La planche IV est composée de deux parties : en haut, la vignette illustre la boutique du chaudronnier-faiseur d’instruments de musique, où l’on voit des artisans au travail. Le premier « donne la première forme à un morceau de cuivre destiné pour le cor-de-chasse » ; le deuxième « soude les différentes pièces qui forment le cor-de-chasse » ; le troisième « verse du plomb fondu dans le cor pour pouvoir le courber sans lui faire perdre sa rondeur » ; le dernier « contourne le cor rempli de plomb ». Vingt-six légendes concernent le métier, certaines limitées à la simple identification des outils, d’autres plus explicatives lors de la description des tâches des ouvriers.

Ces renvois absents constituent un indice de la fabrique de l’Encyclopédie. En 1753, lors de la rédaction de l’article Chauderonnier, ni l’article Sifflet de Pan ni Syrinx ne sont probablement rédigés. Et les planches relatives à ce métier ne sont manifestement pas encore dessinées. Diderot n’a d’ailleurs pas perçu (ou pas voulu percevoir : → voir ci-dessus Enjeux de l’article) ces trois catégories de chaudronniers. Peut-être d’ailleurs n’étaient-elles pas déjà aussi distinctes au moment où Diderot rédige cet article. Ces trois sortes de chaudronniers sont mentionnées pour la première fois en 1763, précisément dans ces planches de l’Encyclopédie. On peut émettre l’hypothèse que le chaudronnier-faiseur d’instruments s’est spécialisé au cours de ces dix dernières années qui séparent la rédaction de l’article et la publication de ce recueil de planches. Cette distinction n’apparaît dans aucune des éditions du Dictionnaire universel de commerce de Savary 4 . De son côté, Philippe Macquer enregistre ces trois catégories dans son Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de 1766.

Les planches constituent en quelque sorte un complément ou un rattrapage aux oublis du discours. Leurs explications ne précisent cependant pas les différences essentielles entre ces trois catégories. Il faut attendre la publication du Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de Macquer (1766, t. 1, p. 267-271) pour en connaître la spécificité : le chaudronnier-grossier ébauche et finit les ouvrages (chaudrons, casseroles, etc.), le chaudronnier-planeur plane les ouvrages préparés par les précédents, et le chaudronnier-faiseur dinstruments de musique fabrique les cors de chasse, les trompettes et les timbales. Macquer considère ces deniers comme « les plus intelligens d’entre les Chauderonniers ».

Deux communautés (corporations) différentes pour la fabrication des cors, trompettes et timbales ?

Les artisans qui fabriquent des instruments en cuivre (trompettes, cors de chasse, timbales) 5 sont affiliés à la corporation des chaudronniers. Ils sont distincts de la corporation des faiseurs d’instruments de musique. → voir Dossier critique Facteur d’instrumens de Musique (t. VI, 1756, p. 360a) et FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a) .

Aussi longtemps que ces instruments construits en cuivre servent à la guerre ou à la chasse pour transmettre des ordres, et non pour faire de la musique, il n’y a pas d’ambiguïté quant à l’artisan qui les construit (à l’exception des instruments luxueux fabriqués par des orfèvres), ce qui n’exclut toutefois pas les conflits entre communautés; → voir dossier critique de Trompe , (terme de Mercier.) (t. XVI, 1765, p. 693b).

Mais à partir du moment où cors, trompettes et timbales s’introduisent à l’Opéra, au Concert spirituel, à l’église ou dans les salons privés 6 , des conflits entre corporations éclatent. L’étanchéité entre elles commence à se fissurer. Donnons l’exemple du faiseur de cors de chasse Joseph Raoux affilié aux luthiers en 1754 ; les jurés de la communauté des chaudronniers lui intentent une action en justice (qu’ils perdent), bien qu’ils prétendent que les instruments de guerre 7 ne sont point des instruments de musique (voir Jeltsch, 1999 ). En d’autres termes, cors, trompettes et timbales ont du mal à se faire accepter comme instruments de musique par les chaudronniers 8 , car leur fabrication leur échappe, malgré la protection de leurs statuts.

Notons que les objets en cuivre ou en métal vendus par les merciers sont également fabriqués par les chaudronniers. Citons les cloches et clochettes (voir le Dictionnaire universel de commerce de Savary, t. I, 1726, p. 689 et 714), ou encore le sifflet de Pan en fer dont il a été question ci-dessus. On peut y ajouter un autre instrument de musique vendu par les merciers — et qui porte d’ailleurs un désignant sans ambiguïté : la Trompe , (terme de Mercier.) (t. XVI, 1765, p. 693b) ou la REBUBE , (Luth.) (t. XIII, 1765, p. 842b), instrument plus connu aujourd’hui sous le nom de guimbarde. → voir Dossier critique de REBUBE , (Luth.) (t. XIII, 1765, p. 842b).

Les problèmes entre corporations seront définitivement réglés lors de leur abolition par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791. Au XIXe siècle, ces fabricants se qualifieront alors, selon la catégorie d’instrument concerné, soit de facteurs d’instruments à vent en cuivre, soit de facteurs d’instruments à percussion.

Toutefois, le terme de chaudronnier persistera encore épisodiquement jusque dans les années 1830 pour qualifier tel ou tel fabricant d’instruments de musique en cuivre, avant de devenir un terme péjoratif pour désigner les facteurs d’instruments de basse qualité. L’organisation régulière des expositions nationales des produits de l’industrie favorisera le regroupement de toutes les spécialités des facteurs d’instruments de musique.

Remarques sur le contenu de l’article

Nous avons vu que Diderot cite une variété d’objets en cuivre plus large que les autres dictionnaires de langue de l’époque qui mentionnent seulement les ustensiles de cuisine comme objets fabriqués et vendus. Diderot n’explique pas la signification du terme sifflet accolé à certains chaudronniers. Il ne cite aucun instrument de musique, nous l’avons également fait remarquer.

Diderot déplore l’absence de règlement au métier, alors même qu’il évoque quelques données relatives à leur communauté (jurés, apprentissage). Les statuts des chaudronniers en boutiques (pour la Ville de Paris) ont pourtant été enregistrés au Parlement le 4 octobre 1735 : ils refondent les statuts originaux de 1420, confirmés et amendés à plusieurs reprises (1484, 1571, 1595) et les complètent en vingt articles qui régissent l’accès à la maîtrise, l’apprentissage, la nomination des jurés, les ouvrages interdits de fabrication ou de vente, les amendes, etc. Voir les Statuts de la Communauté des Chaudronniers (1750, p. 34) qui, entre autres, précisent les interdits des chaudronniers ambulants. Citons notamment l’article 11 qui stipule :

« Défendons sous peine de cinquante livres d’amende aux Chaudronniers Colporteurs du pays d’Auvergne, & tous autres sans qualité, d’emporter chez eux les Ouvrages de Chaudronnerie pour les étamer & les raccommoder, leur permettant seulement de les étamer & raccommoder aux portes & dans les maisons des Particuliers à qui lesdits Ouvrages appartiendront. »

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois (t. V, 1768) recense le terme sous l’orthographe CHAUDRONNIER et reprend quasi verbatim la phrase relative aux chaudronniers au sifflet. Il spécifie aussi que la Communauté des Chaudronniers de Paris compte environ 130 maîtres, signifiant ainsi que les statuts de cette corporation sont connus, contrairement à l’assertion de Diderot.

L’ Encyclopédie d'Yverdon (t. IX, 1771, p. 215), à l’article Chauderonnier, reprend uniquement la première phrase de la définition de Diderot. Il n’y a pas de mot vedette sous l’orthographe chaudronnier.

La phrase « On donne le nom de Chauderonniers […] peu de neuf » est reprise telle quelle par Jacques Lacombe dans l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. I, 1782, p. 625-637) dans la section consacrée à l’Art du Chaudronnier. Cette série comprend une trentaine de petites sections ou traités individuels qui décrivent les différents métiers classés par ordre alphabétique. Lacombe, auteur non mentionné sur la page de garde mais pourtant identifié de cette série, a rassemblé les divers articles contenus dans l’Encyclopédie et le Supplément à l'Encyclopédie , tout en y ajoutant diverses informations provenant de sources diverses. Chaque traité se présente sous une organisation tripartite : le « Discours » (les divers articles sur le sujet), les « Explications » (reprises des textes d’explication et légendes fournis dans les Recueils de planches) et le « Vocabulaire » (liste alphabétique de termes munis d’une brève définition). Celui des chaudronniers comprend les chaudronniers-faiseurs d’instrumens (p. 630-632), traités après les chaudronniers-grossiers et les chaudronniers-planeurs. Nous avons mentionné ci-dessus la différence d’orthographe utilisée dans l’article, chauderonnier, et celle des planches, chaudronnier. Cette divergence entraîne Lacombe à gauchir sa présentation : comme il ne trouve pas d’article dans le discours sous la vedette chaudronnier et qu’il travaille sans doute dans l’urgence, il ne se rend pas compte que le terme est traité sous la vedette Chauderonnier. Il constate donc qu’il lui manque un texte princeps pour remplir son discours : il va tout simplement utiliser celui des explications à sa place. En d’autres termes, le texte des explications se trouve une première fois reproduit aux pages 631 et 632, puis une seconde fois aux pages 633 et 634. Seule différence, il introduit une définition concernant le cor en début de cette seconde section, texte très différent de celui de l’Encyclopédie ou du Supplément à l’Encyclopédie et dont les deux premières phrases méritent d’être citées, car elles entérinent le nouvel usage de l’instrument :

« Le cor est un instrument à vent, destiné anciennement pour animer le plaisir de la chasse. On l’emploie depuis quelque temps avec succès dans les orchestres de musique. »

Ces deux phrases sont empruntées à l’article sur les Chauderonniers du Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de Macquer (1766, p. 269), à l’exception de deux légères modifications : « cor-de-chasse » dans Macquer contre « cor » dans Lacombe ; « depuis le commencement de ce siecle » en 1767 transformé en « depuis quelque temps » en 1785.

Cette même série de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques comprend l’Art du faiseur d’instruments de musique, & Lutherie (1785, p. 1-189). Lacombe qui en est également l’auteur signale, aux entrées concernées des cors, sifflet de Pan ou syringe [sic], que ce sont les chauderonniers qui les fabriquent. Il ne le précise pas à l’article trompette.

Bibliographie (sources secondaires par ordre chronologique)

Claudine Fabre-Vassas, « Le charme de la syrinx » , L’Homme. Revue française d’anthropologie , 23 / (1983) , p. 3-59 [consulter] .

Jean Jeltsch, « Maîtrises et jurandes dans la communauté des maîtres faiseurs d’instruments à Paris » , Musique, Images, Instruments , 4 (1999) , p. 8-30 [consulter] .

Malou Haine, « Les instruments de musique dans les Arts et métiers de l’Encyclopédie méthodique » , Musique, Images, Instruments , 15 (2015) , p. 173-187 [consulter] .

Malou Haine, « Transversalité des dictionnaires spécialisés de l’Encyclopédie méthodique : l’exemple des instruments de musique » Panckoucke et l’Encyclopédie méthodique : ordre de savoirs et transversalité, Garnier, Paris, à paraître , p. à paraître .


1 : Remarquons que Chomel varie l'orthographe du terme dans ce même article.
2 : Le terme de syrinx monocalame est réservé à la flûte droite dans les textes grecs anciens.
3 : Echange de courriels en date du 26 juillet 2016. Voir aussi Claudine Fabre-Vassas, « Le charme de la syrinx », L’Homme, 1983, vol. 23, no° 3, p. 5-39.
4 : Editions consultées: 1723, 1726, 1741, 1742, 1748, 1750, 1760
5 : Les chaudronniers fabriquent également des porte-voix et instruments d’acoustique.
6 : L’article anonyme TROMPETTE (Luth.) (t. XVI, 1765, p. 694a-b) entérine déjà l’usage de l’instrument à l’église et dans la musique de chambre. Or la plupart des dictionnaires de langue de l’époque ne le signalent pas.
7 : Dans l’Encyclopédie, certains instruments sont d’ailleurs définis comme « machine ou instrument de guerre » et non comme « instruments de musique » : citons, entre autres, la CAISSE (Lutherie) (t. II, 1752, p. 537a) qui désigne le tambour.
8 : Les chaudronniers ne sont pas les seuls à marquer leur réticence. Publiée peu avant la Révolution française, l’Encyclopédie méthodique, Art militaire refuse de voir une quelconque musique dans les INSTRUMENTS qui sont définis comme des « machines sonores » (t. 3, 1787, p. 106) ; le terme musique est totalement absent des deux colonnes du discours. Y sont décrits les instruments de l’Antiquité utilisés en temps de guerre, suivis de ceux des temps modernes en usage par les troupes françaises. Tout autre est la position du volume supplémentaire publié en 1797, car entre temps s’est créée la garde nationale qui a animé les grandes fêtes de la Révolution. Voir Malou Haine, « Transversalité des dictionnaires spécialisés de l’Encyclopédie méthodique : l’exemple des instruments de musique », dans Luigi Delia, Claire Fauvergue et Martine Groult (dir.), Panckoucke et l’Encyclopédie méthodique : ordre de savoirs et transversalité, Paris, Garnier, à paraître en 2017.
projet ENCCRE ©2017