par Malou Haine, publié le 04/10/2017

L’article donne deux significations de l’expression facteur d’instrumens de musique : d’une part, ceux qui fabriquent les instruments de musique et, d’autre part, ceux qui les accordent. Est-ce un indice de l’émergence d’un nouveau métier, celui d’accordeur (qui ne porte pas encore de nom) ? → voir Dossier critique : Lexicographie des métiers concernés.

Auteur

Cet article est le dernier placé dans un ensemble de quatre autres de même intitulé :

  • FACTEUR , en Arithmétique & en Algebre (t. VI, 1756, p. 359b)
  • Facteur , dans le Commerce (t. VI, 1756, p. 359b–360a)
  • Facteur (t. VI, 1756, p. 360a) [messagerie]
  • Facteur d’instrumens de Musique (t. VI, 1756, p. 360a)

Les trois premiers articles portent la marque (G) de l’abbé Mallet. Faut-il en déduire que ce dernier est également l’auteur de cet article-ci, même si sa marque n’est pas présente ? L’« Avertissement » placé à la fin du « Discours préliminaire » (Encyclopédie, t. I, 1751, p. xlvi) laisse entendre que plusieurs articles consécutifs de même matière sont à attribuer au même collaborateur. Certes, le facteur d’instrumens de musique ne relève pas de la même matière que les trois autres articles, mais ceux-ci sont également, entre eux, de domaines différents, raison pour laquelle la marque de Mallet est répétée. Comme cette dernière est absente de cet article-ci, on pourrait en déduire que Mallet ne l’a pas rédigé.

Faut-il dès lors supposer que Diderot en est l’auteur, lui qui signe l’article FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a) dans lequel il donne l’exemple lexical de faiseur d’instrumens de musique ? L’attribution de cet article à Diderot pourrait se trouver renforcée par le renvoi à Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a), article dont il est également l’auteur.

Rédaction et source(s) compilée(s)

La seconde phrase est calquée sur la définition donnée dans le Dictionnaire universel de commerce de Savary (éditions de 1723, 1726 et 1732) :

Facteur. Se dit aussi d’un homme qui va en ville pour mette les instrumens de Musique d’accord. Facteur d’orgues, facteur de Clavecin, &c.

Domaine et désignant

Le désignant instrumens de musique est intégré dans la vedette qui forme ainsi un groupe nominal.

Enjeu de l’article

Au-delà de la simple définition de l’expression Facteur d’instruments de musique se cache sans doute un autre enjeu, celui de valoriser le travail des métiers mécaniques. Il est ici question de l’artisan qui fabrique les instruments de musique et non de l’ouvrier, terme habituellement utilisé dans les définitions des termes faiseur et facteur d’instruments de musique dans les dictionnaires de langue du XVIIIe siècle.

Le choix du terme artisan fait écho à l’ambition affichée de l’Encyclopédie de promouvoir les acteurs de ces métiers. Le « Discours préliminaire » (t. I, 1751, p. xiij) tente d’atténuer l’idée de supériorité généralement accordée aux Arts libéraux sur les Arts mécaniques.

Toutefois les définitions données aux termes OUVRIER , terme général (t. XI, 1765, p. 726b), ARTISAN (t. I, 1751, p. 745a), et ARTISTE (t. I, 1751, p. 745a–b) au sein de l’Encyclopédie n’apportent pas la valorisation attendue.

OUVRIER, s. m. terme général, se dit en général de tout artisan qui travaille de quelque métier que ce soit. […]
ARTISAN, s. m. nom par lequel on désigne les ouvriers qui professent ceux d’entre les arts méchaniques, qui supposent le moins d’intelligence. On dit d’un bon Cordonnier, que c’est un bon artisan, & d’un habile Horloger, que c’est un grand artiste.
ARTISTE, s. m. nom que l’on donne aux ouvriers qui excellent dans ceux d’entre les arts méchaniques, qui supposent l’intelligence ; […]

Si l’on s’en tient strictement à ces définitions, seul le terme artiste mettrait donc en valeur l’artisan qualifié. C’est d’ailleurs ce terme qui est utilisé par D’Alembert dans le « Discours préliminaire » (t. 1, 1751, p. xl) :

Au reste, c’est la main d’œuvre qui fait l’artiste, & ce n’est point dans les Livres qu’on peut apprendre à manœuvrer. L’artiste rencontrera seulement dans notre Ouvrage des vûes qu’il n’eût peut-être jamais eues, & des observations qu’il n’eût faites qu’après plusieurs années de travail. Nous offrirons au lecteur studieux ce qu’il eût appris d’un artiste en le voyant opérer, pour satisfaire sa curiosité ; & à l’artiste ce qu’il seroit à souhaiter qu’il apprit du Philosophe pour s’avancer à la perfection.

L’emploi du terme artisan dans la définition du facteur d’instruments de musique ne devrait donc pas s’interpréter au sens moderne du terme, « personne exerçant, pour son propre compte, un art mécanique ou un métier qui exige une certaine qualification professionnelle. » (voir Trésor de la langue française, site TLFI).

On peut regretter que l’article ne fournisse aucune information sur les statuts de la communauté comme c’est le cas, par exemple, dans les articles CARTIER (t. II, 1752, p. 726b) et CHAPELIER , (Art méchan.) (t. III, 1753, p. 176b). L’article n’aborde pas non plus les aspects techniques du métier. Mais comment le pourrait-il puisque ce métier est différent pour chaque type d’instruments fabriqués ?

Lexicographie des métiers concernés

Facteur et/ou Accordeur ?

L’Encyclopédie accorde deux significations à l’expression facteur d’instruments de musique, l’une désigne celui qui fabrique les instruments de musique, l’autre celui qui les accorde. Il n’y a pas d’autres dictionnaires de langue au XVIIIe siècle qui fasse la même distinction dans leur définition entre celui qui fabrique et celui qui accorde 1 . Il est d’ailleurs curieux de présenter ces deux définitions comme différentes car, à l’époque, le fait de fabriquer des instruments de musique implique également de les accorder.

Faut-il comprendre que le métier d’accordeur commence à devenir autonome par rapport à celui de facteur ? Cela semble évident : Rousseau répond implicitement, mais clairement à cette question en introduisant, douze ans plus tard (1768), dans son Dictionnaire de musique , la néosémie (néologisme de sens) accordeur. Rousseau ne limite cependant pas sa définition au nouvel emploi du terme ; il associe encore les deux métiers :

On appelle Accordeurs d’Orgue ou de Clavecin, ceux qui vont dans les Eglises ou dans les maisons accommoder & accorder ces Instrumens, & qui, pour l’ordinaire, en sont aussi les Facteurs.

Tout facteur est donc aussi un accordeur, mais l’inverse ne sera bientôt plus de mise.

Jacques Lacombe dans l’Art du faiseur d'instrumens de musique, et Lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785, p. 17) consacre la différenciation entre les deux métiers lorsqu’il signale que « facteurs & accordeurs » estiment le tempérament égal comme le plus parfait.

Soulignons que le métier d’Accordeur n’entrera dans le Dictionnaire de l’Académie françoise qu’en 1835.

Facteur, faiseur, luthier

La définition de tête fournit comme exemples d’emploi lexical le facteur d’orgues et le facteur de clavecins, suivis d’un « &c. ».

Cet « etc. » laisse entendre qu’il suffit d’ajouter le nom d’un autre instrument de musique pour désigner n’importe quel fabricant dans ce domaine. Or, l’adjonction d’un autre instrument au terme facteur n’est pourtant pas laissée au hasard. Selon le type d’instruments concernés, d’autres termes circulent à l’époque pour désigner ces artisans qui fabriquent des instruments de musique : faiseur, luthier, chaudronnier, fondeur.

À l’article FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a), Diderot donne l’exemple lexical d’un faiseur d’instruments de musique.

→ voir le Dossier critique de FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a). Dans le présent article, ce synonyme faiseur n’est pas mentionné, alors qu’il est pourtant encore en usage (mais plus pour longtemps) en ce milieu du XVIIIe siècle. Les expressions facteur d’instruments de musique ou faiseur d’instruments de musique sont interchangeables dans ce sens générique, mais le sont-elles encore lorsqu’il s’agit de spécifier une branche particulière de la facture instrumentale ? Rien n’est moins sûr.

Retraçons les premières occurrences de ces termes faiseur et facteur et relevons, dans une perspective diachronique, les instruments précis qui s’y attachent. Nous nous servirons des dictionnaires de langue française, des dictionnaires de commerce et des almanachs de l’époque, des traités d’instruments de musique et des documents d’archives publiés (→ voir ci-dessous Bibliographie).

On trouve faiséeur (ou féseur, féseeur) de trompes dans une ordonnance du Prévôt de Paris en 1297, faiseur d’orgues dans un arrêt du Parlement en 1520. Les lettres patentes de 1599 consacrent l’établissement de la corporation des faiseurs d’instrumens de musique à Paris. Durant le XVIe siècle, divers documents d’archives attestent de l’adjonction de tel ou tel instrument au mot faiseur (écrit parfois feuseur) : d’épinettes (ou d’espinettes), de manichordions, de luths (ou lutz), de guiternes, de viollons, de cordes d’instrumens, de flustes, de cors de chasse, de trompettes, de cornets.

Le terme facteur est attesté une première fois, de manière isolée, en 1421, mais c’est durant le dernier tiers du XVIe siècle que son emploi s’intensifie. Mersenne dans son Harmonie universelle (1636) utilise le seul terme de facteur pour mentionner les fabricants de chacun des instruments qu’il décrit, que ce soient les orgues, les instruments à clavier, les instruments à cordes, à vent ou à percussion.

Le mot faiseur reste pourtant utilisé durant le XVIIe siècle, car il s’identifie à la terminologie administrative officielle du métier consacré en 1599 par les statuts de la communauté.

Les Comptes des Bâtiments du Roy ( Guiffrey, 1881-1901 , t. 1, p. 481-482) font encore état d’un paiement en janvier 1671 à un nommé Pampes, faiseur d’orgues et de clavessins. Ensuite, si faiseur et facteur coexistent, on constate l’emploi plus fréquent de facteur d’orgues, facteur de clavecins, facteur d’épinettes, plus rarement celui de facteur de luths. Un arrêt de 1692 consacre la réunion des facteurs d’orgues et des faiseurs de flûtes, hautbois, etc., soulignant ainsi l’usage différencié des deux termes.

Les dictionnaires de langue française du XVIIIe siècle confirment cette distinction en réservant généralement deux entrées séparées au sein de leur nomenclature. Le Dictionnaire françois de Richelet (1680) mentionne le Facteur d’orgues et le Faiseur d’instrumens de musique. Ce dernier terme, précise-t-il : « C’est celui qu’on apelle ordinairement Lutier ». Sous l’orthographe Luthier, il signale que cette appellation est en usage par « le peuple de Paris » pour désigner « l’artisan qui fait et vend toutes sortes d’instrumens de musique à cordes, comme luth, poche, tuorbe, violon, &c. ».

On assiste donc ici à l’introduction du terme luthier dans un dictionnaire de langue ; ce terme prend place aux côtés de faiseur et facteur. Le Trésor de la langue française informatisé (site TLFI) date l’apparition du terme lutier en 1649 en le repérant dans Les contens et mescontens sur le sujet du temps. Richelet consacre donc son usage quelque quarante ans plus tard. On connaît la réticence des dictionnaires de langue à recenser les mots nouveaux ; ils sont tout aussi paresseux pour supprimer ceux devenus hors d’usage.

Le Dictionnaire universel de Furetière (1690 et 1702) cite le facteur d’orgues et le faiseur de clavessins. Le Dictionnaire de l’Académie françoise (1694, 1740, 1762) fait de même, mais ajoute encore le faiseur de luts [sic] dès 1694. Le Dictionnaire de Trévoux (1721, 1732, 1743, 1771) distingue le Facteur d’orgues et le Faiseur de clavessins. Il introduit Luttiér [sic] dans son édition de 1721 ; dans celle de 1743, Luttier renvoie à Lutier.

Tous ces termes coexistent au milieu du XVIIIe siècle 2 , mais le terme facteur supplante peu à peu celui de faiseur. Un jugement de 1752 confirme que la communauté des facteurs se compose « de luthiers, de faiseurs d’instruments à vent, de facteurs d’orgues et de facteurs de clavessins », témoignant ainsi de la pluralité des appellations du métier, mais aussi de l’emploi spécifique des termes. C’est également reconnaître que le métier comprend des entités différentes selon l’instrument concerné. Le terme faiseur qui s’appliquait à divers types d’instruments au XVIIe siècle est donc à présent réservé aux seuls fabricants d’instruments à vent : d’un emploi au sens large, il s’est appliqué à un usage plus étroit, ce que confirment également les différentes entrées du Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de Macquer (1766) (voir ci-dessous).

Il convient ici de préciser que seuls les instruments à vent en bois (flûtes, hautbois etc.) sont concernés. En effet, ce que nous appelons aujourd’hui instruments à vent en cuivre (cors, trompettes) ne sont alors pas considérés comme des instruments de musique, mais comme des « machines de guerre » ou des accessoires de chasse destinés à émettre des signaux de commandement. Ces instruments sont d’ailleurs fabriqués par des artisans d’une autre communauté, celle des chaudronniers (voir ci-dessous). Avec l’emploi de plus en plus fréquent de ces instruments à l’Opéra et dans la musique instrumentale qui s’autonomise progressivement, la perception de ces cuivres va changer.

Revenons à l’Encyclopédie. Aucune entrée n’est réservée aux termes luthier ou lutherie ; or ils sont abondamment utilisés dans divers articles, — lutherie est d’ailleurs un néologisme qui apparaît pour la première fois en 1751 dans le « Discours préliminaire » (t. I, 1751, p. xliv) ; le terme sert également de désignant de domaine et donne son nom à une série de 34 planches dont une double (vol. III, Recueil de planches, 1763).

→ voir nos Dossiers transversaux Instruments de musique absents de la nomenclature mais pourtant présents dans l'Encyclopédie. et Lutherie et instruments de musique dans l'Encyclopédie.

Le terme faiseur en rapport avec la fabrication des instruments de musique n’est recensé que deux fois par le moteur de recherche de l’ENCCRE : à la vedette d’adresse FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a) et dans l’intitulé de la quatrième planche de la série Chaudronnier : Pl. IV. Chaudronnier Faiseur d'Instruments. (t. III, 1763).

Son synonyme facteur apparaît un peu plus souvent, soit dans son emploi générique, soit en relation avec l’orgue, sa construction et ses outils.

Dix ans après la publication du volume VI de l’Encyclopédie paraît le Guide des Marchands qui retrace, pour chaque métier, l’origine historique de chaque corps et offre un résumé de leurs statuts. Le métier qui nous occupe est recensé (p. 247) sous l’intitulé « Faiseurs d’instrumens de musique à cordes, autrement dits Luthiers ». Ainsi, le terme faiseur paraît bien désuet puisque l’auteur est obligé d’y accoler une appellation alors plus usitée : luthier acquiert ainsi un sens générique.

Dans son Dictionnaire de musique , Rousseau (1768) différencie le Facteur, « ouvrier qui fait des orgues ou des clavecins », et le Luthier, « ouvrier qui fait des Violons, des Violoncelles & autres instrumens semblables ». Il ne réserve pas d’entrée à faiseur d’instruments.

Les dictionnaires de commerce et almanachs sont parfois plus proches des appellations courantes, du moins dans leur première édition ; ensuite, ils se recopient souvent et ne procèdent que rarement à de nouvelles mises à jour. Le Dictionnaire universel de commerce de Savary (1726) consacre une section aux Faiseurs d’instrumens, mais ne prévoit aucune entrée à facteur ni à luthier. Le Dictionnaire portatif des Arts et Métiers de Macquer (1766 ; 1773 revu par Jaubert) parle de Faiseurs d’instruments à vent, mais de Facteurs de clavecins et d’orgues, et renvoie à Luthier pour les Facteurs de violons.

L’ Almanach général des marchands pour l'année 1772 rassemble les maîtres et jurés fabriquant des orgues, clavecins, instruments à vent, instruments à cordes, et serinettes sous l’intitulé Luthiers, facteurs d’instruments.

Dans le tome 4 de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (1785), Lacombe rassemble tous les articles relatifs aux instruments de musique de l’Encyclopédie et du Supplément à l'Encyclopédie sous un intitulé qui tient compte, assez habilement reconnaissons-le, à la fois du terme qui semble déjà désuet (faiseur) et d’un terme relativement nouveau (lutherie), puisqu’il intitule cette section L’Art du faiseur d’instrumens de musique, et lutherie.

Les Tablettes de renommée des musiciens (1785) distinguent, sous la rubrique générique de MUSIQUE, diverses sections pour les fabricants : les Luthiers ou Facteurs d’instrumens de Musique à cordes, à chevalet & à cordes pincées, les Facteurs d’instrumens à vent [seuls sont recensés ceux qui fabriquent des bois], les Facteurs d’orgues, les Facteurs de Cors-de-Chasse, les Facteurs de serinettes, les Accordeurs de Clavecin & de Piano-Forte, le Peintre & Doreur de Clavecin & de Piano-Forte. Il y a ici manifestement un souci de différencier les spécificités, mais il est vrai que cet almanach n’est pas généraliste. Quatre éléments sont à souligner : l’absence du terme faiseur ; la volonté de préciser ce dont s’occupent les luthiers qui se distinguent ainsi de ceux qui fabriquent des instruments à cordes et à clavier, distinction implicite jusqu’à présent ; la présence des facteurs de cors-de-chasse, instruments en cuivre jusqu’alors absents parmi les fabricants d’instruments de musique ; enfin, la présence d’une section spécifique aux accordeurs, signe que ce métier est à présent distinct des facteurs eux-mêmes.

Comparons cet almanach spécialisé à un autre plus généraliste. Les Tablettes du Vrai mérite (1791) regroupent, dans la section des Arts utiles et agréables, les fabricants d’instruments de musique (instruments à cordes, cors-de-chasse, clavecins, fortepianos, orgues, harpes) sous le seul intitulé de Luthiers.

En cette fin de siècle, le terme luthier s’est donc substitué aux autres termes alors en usage et est devenu un terme générique, alors qu’à l’origine il s’appliquait uniquement aux instruments à cordes. Il a suivi le cheminement inverse du terme faiseur qui en ses débuts s’utilisait pour un grand nombre d’instruments, puis s’est restreint aux instruments à vent en bois.

En résumé, le terme faiseur remonte au XIIIe siècle et est utilisé au XVIe siècle pour qualifier les fabricants de plusieurs types d’instruments de musique. Dans le dernier tiers du XVIIe siècle, le facteur (terme qui date du XVe siècle) désigne plus précisément le fabricant d’orgues et de clavecins : les termes faiseur et facteur coexistent un temps, puis s’appliquent à différentes spécialités. Le terme luthier, apparu au milieu du XVIIe siècle, est réservé aux artisans qui fabriquent des instruments à cordes tels les violons ou les guitares. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, faiseur se restreint aux seuls fabricants d’instruments à vent, puis cède la place aux termes facteur et luthier. Ce dernier terme évolue à l’inverse du terme faiseur, puisqu’il va peu à peu devenir générique et englober les différentes spécialités du métier (pour retrouver au XXe siècle son usage premier).

Enfin, il faut également noter que si le premier exemple lexical donné dans l’article FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a) — « on dit un faiseur d’instrumens de musique » — se trouve repris dans presque tous les dictionnaires de langue française du XVIIIe siècle, il est aujourd’hui (2017) totalement absent. Le Trésor de la langue française informatisé (site TLFI) fournit une abondance d’emplois du terme faiseur, mais le faiseur d’instruments n’est plus mentionné, même pas sous les rubriques « Vieilli » ou « Vx ou littér. ». En revanche, sur cette même plateforme, son synonyme facteur, dans le sens de fabricant d’instruments de musique, bénéficie de la première place dans l’énoncé des exemples lexicaux, alors que son emploi pour désigner celui qui distribue les lettres arrive seulement en troisième position ; or ce dernier est certainement plus connu du grand public.

Contrairement au mot luthier, celui de lutherie a connu une fortune beaucoup moins heureuse au XVIIIe siècle. → voir notre Dossier transversal Lutherie et instruments de musique dans l'Encyclopédie.

Épinetiers, fondeurs et chaudronniers

Nous n’avons cependant pas fait le tour de tous les termes qui désignent les diverses spécialités du métier exercé par les fabricants d’instruments de musique. Les anciens termes épinetier ou espinetier utilisés au XVIesiècle dans les archives  3 pour qualifier ceux qui fabriquent (et qui jouent) des épinettes ne semblent plus en usage au siècle suivant 4 . Ils ne sont repris dans aucun des dictionnaires de langue du XVIIIe siècle 5 .

À côté de ces facteurs, faiseurs et luthiers, il existe aussi des fondeurs de cloches dont le métier est totalement différent de par la matière traitée. De même, les chaudronniers qui fabriquent les instruments de musique à vent en cuivre.

→ Voir notre Dossier critique de CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b).

Ces diverses appellations s’expliquent parce que ces artisans appartiennent à des communautés différentes selon les matériaux qu’ils travaillent ; mais c’est également dû, à l’origine, à l’usage de ces instruments qui ne sont pas présents dans la musique jouée à l’Opéra ou dans les salons. Toutefois les instruments en cuivre tels les cors, trompettes et timbales vont peu à peu s’introduire dans ces milieux et donc modifier la spécificité de leurs fabricants. L’étanchéité entre communautés va se fissurer : le faiseur de cors-de-chasse Joseph Raoux s’est affilié aux luthiers en 1754, mais les chaudronniers lui intentent une action en justice (qu’ils perdront), bien qu’ils prétendent que les instruments de guerre ne sont point des instruments de musique. Encore une fois, c’est l’emploi de plus en plus fréquent des cuivres dans les sphères musicales qui n’étaient pas les leurs à l’origine qui va faire tomber ces barrières.

Ainsi, avec la suppression des communautés à la Révolution française, les artisans exerceront leur métier librement, et la fabrication des instruments à vent ou en cuivre sera de plus en plus considérée comme un même domaine, parfois d’ailleurs réalisée au sein des mêmes ateliers. L’expression facteur d’instruments à vent englobera les deux spécialités, alors que faiseur d’instruments à vent était précédemment utilisé de manière plus restrictive, nous l’avons vu. Il en va de même pour ceux qui fabriquent des instruments à percussion (timbales, cymbales, triangle) : ce sont à présent les facteurs d’instruments à percussion qui étaient précédemment construits par les chaudronniers.

Statuts des faiseurs d’instruments

Les statuts des faiseurs d’instruments ont été étudiés en détail par Loubert de Sceaury (1949), mais rappelons ici les principaux articles tels que résumés dans l’ Almanach des Communautés Arts & Métiers de 1757 (p. 116 & suppl., vii). Pour pouvoir tenir boutique, il faut avoir réalisé un chef-d’œuvre et avoir été reçu par deux Maîtres Jurés en charge. Les jurés sont en charge pour deux ans. L’apprentissage dure six ans, mais les fils de Maître en sont dispensés (tout comme de l’obligation du chef-d’œuvre). Un Maître ne peut avoir plus d’un apprenti à la fois, mais peut en prendre un second lorsque les quatre premières années du premier sont terminées. On peut travailler en chambre, à condition d’être Apprenti de Paris et de ne vendre ses ouvrages qu’à dautres Maîtres. Un Maître ne peut avoir plus d’une Boutique ; sa veuve peut exercer à l’aide d’un compagnon apprenti. Les jurés ne peuvent qu’être deux en charge

L’ Almanach des Communautés Arts & Métiers de 1757 étant contemporain de l’article de l’Encyclopédie (1756), il est intéressant de citer les noms des jurés de l’époque (p. 118) : Jean-Baptiste l’Empereur, dit Keizens, syndic; Jacques Bourdet, facteur de clavecin et Claude Boivin, luthier. Le supplément de l’Almanach (p. vij en fin de volume) ne garde que Claude Boivin, mais ajoute Louis Bessard et Louis Bellot.

Quant aux « Maîtres faiseurs d’instrumens de Musique », ils sont au nombre de 75 selon le Journal du Citoyen (1754) (p. 345). Le brevet d’apprenti coûte 30 livres, & la « maîtrise avec qualité » 800 livres.

Procès, conflits et tensions entre communautés conduiront à leur lente agonie ( Kaplan, 2001 ). La loi Le Chapelier du 14 juin 1791 supprime définitivement les corporations. Les métiers s’exerceront alors librement.

Correspondances internes à l’Encyclopédie

L’Encyclopédie renvoie au terme générique Instumens , ( Musiq. & Luth. ) (t. VIII, 1765, p. 803b–804a), dans lequel sont mentionnés 24 instruments classés selon la typologie tripartite habituelle : instruments à cordes, instruments à vent, instruments à percussion.

→ voir notre Dossier transversal Typologie et classification des instruments de musique dans l’Encyclopédie.

L’article aurait pu renvoyer aux autres termes utilisés pour désigner d’autres fabricants d’instruments de musique. Le texte ne renvoie pas à l’article FAISEUR, ou celui qui fait , Gramm. (t. VI, 1756, p. 383a), pourtant synonyme à l’époque de Facteur, et qui comprend l’exemple lexical de « faiseur d’instrumens de musique ».

Il manque également le renvoi à FONDEUR , (Arts méch.) (t. VII, 1757, p. 79b) où sont mentionnés les fondeurs de cloches.

L’entrée CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b) ne parle pas des fabricants d’instruments de musique. Mais quatre planches sont réservées aux différents types de chaudronniers dans le Recueil de planches. Le chaudronnier-faiseur d’instruments de musique est illustré à la Pl. IV. Chaudronnier Faiseur d'Instruments. (t. III, 1763) : la vignette du haut représente la boutique de cet ouvrier, tandis que le bas de la planche donne à voir ses différents outils et quelques instruments (cor de chasse, trompette, timbales).

→ voir notre Dossier critique CHAUDERONNIER (t. III, 1753, p. 254a–b).

Il y manque aussi un renvoi à la Pl. XVIII. Lutherie, Ouvrages et Outils (t. V, 1767) : cette planche est composée de deux parties : la vignette du haut illustre l’intérieur d’un atelier de luthier où sont occupés quatre « compagnons » : l’un rabote une table, un autre s’occupe de la console d’une harpe, un troisième achève un violon, le dernier vernit la console d’une harpe. Plusieurs instruments à cordes sont pendus à des lattes traversant la pièce de part en part près du plafond. Cinq instruments à vent y sont aussi représentés : une trompette, un serpent et trois bassons. Un buffet d’orgue repose sur l’étagère de droite. Une vielle à roue et une caisse d’épinette sont posées sur le sol à l’avant-plan. Le bas de l’illustration comprend un établi et une vingtaine d’outils identifiés dans les Explications. Le dessinateur a-t-il voulu englober les différents métiers évoqués ci-dessus en un seul atelier ? Seule la fabrication des cordes est illustrée, mais des instruments à vent y sont présents, ce qui n’est guère cohérent. Cette représentation idéalisée est renforcée par l’aspect ordonné et quasi aseptisé de ce semblant d’instantané.

Métamorphoses de l’Encyclopédie

Le Grand Vocabulaire françois de Panckoucke (t. X, 1770) limite le champ sémantique du terme :

FACTEUR. Faiseur. En ce sens il ne se dit guère qu’en ces phrases, Facteur d’orgues, Facteur de clavecin.

L’ Encyclopédie d'Yverdon ne retient pas le terme « facteur », mais bien celui de « faiseur » (vol. XVIII, 1772).

La définition de l’Accordeur donnée par Rousseau dans son Dictionnaire de musique en 1768 est reprise telle quelle dans la partie « Vocabulaire » de l’Art du faiseur dinstrumens de musique, et Lutherie de l’ Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (t. 4, 1785, p. 150).

Bibliographie (sources secondaires, ordre chronologique)

Jules Ecorcheville, Actes d’État civil de musiciens insinués au Chatelet de Paris, 1539-1650, L.-M. Fortin, Paris, 1907 .

Paul Loubet de Sceaury, Musiciens et facteurs d’instruments sous l’Ancien Régime. Statuts corporatifs, Pedone, Paris, 1949 .

François Lesure, « La facture instrumentale à Paris au XVIe siècle » , The Galpin Society Journal , 7 (1954) , p. 11-34 [consulter] .

Yolande de Brossard, Musiciens de Paris 1532-1792. Actes d’État civil d’après le fichier Laborde de la Bibliothèque nationale, A. et J. Picard & Cie, Paris, 1965 .

Madeleine Jurgens, Documents du Minutier Central concernant l’Histoire de la Musique, 1600-1650, S.E.V.P.E.N. / La documentation française, Paris, 2 volumes, 1967-1974 .

Colombe Samoyault-Verlet, Les facteurs de clavecins parisiens. Notices biographiques et documents (1550-1793), Société française de musicologie, Paris, 1966 .

Jean Jeltsch, « Maîtrises et jurandes dans la communauté des maîtres faiseurs d’instruments à Paris » , Musique, Images, Instruments , 4 (1999) , p. 8-30 [consulter] .

Steven Laurence Kaplan, La fin des corporations (traduit de l'américain par Béatrice Vierne), Fayard, Paris, 2001 .

Edouard Martin, « Faiseur, facteur : terminologie d’un métier » , Musique, Images, Instruments , 8 (2006) , p. 127-138 [consulter] .

Florence Gétreau, « Les faiseurs d’instruments du Roi » dans Jean Duron (éd.), Le Prince et la musique : les passions musicales de Louis XIV, Mardaga, Wavre, 2009 , p. 179-210 .


1 : Ouvrages consultés : Richelet (1680), Furetière (1690), Dictionnaire de l’Académie (1694, 1740, 1762), Trévoux (1721, 1732, 1743, 1752, 1771), Thomas Corneille (1732), Prévost (1750).
2 : Remarquons que le terme "facteur" dans le sens de fabricant d'instruments de musique n'entre dans la nomenclature du Dictionnaire de commerce de Savary que dans le supplément de son édition de 1730.
3 : Le nom de Jean Huart est recensé comme « maître épinetier » en 1578, de même que Thomas Denis en 1615.
4 : Ces deux termes ne figurent pas dans TLFI.
5 : Ouvrages consultés : Richelet (1680), Furetière (1690), Dictionnaire de l’Académie (1694, 1740, 1762), Trévoux (1721, 1732, 1743, 1752, 1771), Thomas Corneille (1732), Prévost (1750).
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